L’ŒUVRE

Notre séquence didactique repose sur l’œuvre intégrale L’avalée des avalés de Réjean Ducharme.  Afin que les élèves comprennent que le roman repose sur les idées de conflit et de transgression, tant sur le plan du contenu, de la forme, du langage, du contexte socioculturel et historique, il nous parait essentiel de les préparer à accueillir cet univers inquiétant qui risque de marquer leur conception de la littérature.

LES PROBLÈMES DE LECTURE

   -Le conflit (conflit interne, familial, politique) et le discours contestataire.

   -La transgression des règles romanesques : temporalité, narration, surréalisme.

   -Les référents culturels (intertextualité)

   -Le langage

Nous proposons sept activités. Nous découpons l’œuvre en quatre parties inégales, selon la structure temporelle et spatiale.

AVANT LA LECTURE

Cours 1 : Appropriation du contexte sociohistorique de l’œuvre.

OBJECTIF :

Amener les élèves à comprendre que le désir de changement des valeurs et les bouleversements de l’époque sous-tendent le discours de l’auteur.

MOYENS :

L’enseignant demande aux élèves d’activer leurs connaissances sur la période s’échelonnant de 1960-1980. En plénière, l’enseignant dresse un bref historique de la Révolution tranquille.

Afin que les jeunes ressentent le climat de révolte qui régnait dans ces années, ils visionnent de courts extraits de la célèbre « Nuit de la poésie » (mars 1970) du réalisateur Jean-Claude Labrecque (ONF) La prestation des poètes engagés, Gaston Miron, Michèle Lalonde (Speak White) et Claude Gauvreau leur donnera le pouls de l’époque. 

Pour présenter l’auteur énigmatique, presque mythique, l’enseignant fait la lecture du texte d’autoprésentation publié dans la première édition de L’avalée des avalés (1966).

Cours 2 : Étude de l’incipit : déconstruction des règles romanesques

OBJECTIF :

Permettre aux élèves de lire le roman sans être rebutés par la déconstruction des règles romanesques, tout en s’initiant aux grands thèmes qui le traversent.

MOYENS :

Les élèves lisent le texte individuellement. Ensuite, ils s’expriment de façon spontanée sur l’effet que le texte a sur eux. Après ce bouillonnement de réactions, l’enseignant demande aux élèves ce à quoi ils s’attendent lorsqu’ils commencent un roman. Il rappelle schématiquement les règles romanesques habituelles. Puis, il fait une étude de texte linéaire faisant ressortir la rupture avec ces règles. Il souligne les points à retenir pour faciliter la suite de la lecture : le conflit intérieur, la présence de la mère et le jeu sur le langage. L’idée-force du passage est le vertige, induit par le conflit entre l’horizon d’attente du lecteur par rapport aux règles romanesques habituelles et la lecture elle-même.

PENDANT LA LECTURE

Cours 3-4 : Le langage 

OBJECTIFS :

Par son écriture ludique et imprévisible, Ducharme déroute son lecteur. L’écriture, au même titre que les personnages, critique la société. L’objectif de l’activité est de démontrer aux élèves que le langage soutient les thèmes du conflit et de la révolte dans L’avalée des avalés.

MOYENS :

Premier cours sur le langage

L’enseignant donne l’exemple suivant : l’opposition entre avoir et être. Il prend l’expression « avoir des enfants ». Puis, il fait la lecture de l’extrait suivant : « Ils nous ont, ils nous gardent. Mme Einberg a Christian et elle le garde. M. Einberg m’a et il me garde. […] » L’enseignant établit un rapprochement avec de courtes citations : « Je suis quelqu’un et je m’appartiens. […] Au fond, je suis ma propre personne. » Il donne l’explication que Bérénice veut se posséder. En équipe, les élèves font ressortir du texte les éléments proposés par l’enseignant : des calembours, des jeux de mots, des lapsus, des répétitions d’expressions, des déformations de proverbes, des clichés, des comparaisons boiteuses. L’enseignant pose la question suivante : « Pourquoi Bérénice s’amuse-t-elle à déformer le langage? Quels effets cela provoque-t-il sur vous? ». On peut s’attendre à ce que les élèves fassent le constat suivant : pour elle, défaire le langage équivaut à atteindre une liberté de s’exprimer sans contrainte.

Deuxième cours sur le langage : Écriture créative

Objectifs :

Cet exercice d’écriture permettra aux élèves de réinvestir les acquis sur la transgression des règles romanesques. À partir des thèmes de conflit et de révolte, ils prendront la voix singulière de Bérénice.

Consignes :

-En entrant dans la peau de Bérénice, vous devez rédiger, dans votre cahier d’écriture, un texte de cinq-cents mots.

-Vous devez approfondir un conflit interne de Bérénice (ex. relation avec sa mère)

-Vous écrivez au « je »

-Au moins deux procédés d’écriture exploités dans le roman (calembours, comparaisons boiteuses, transformations de proverbes) doivent être repris.

Cours 5 : Journal de lecture

OBJECTIFS :

Permettre aux élèves d’émettre des hypothèses quant au sens des symboles liés à la mort et à la disparition dans le roman, d’exprimer de façon argumentée leurs problèmes de lecture et leurs insatisfactions, mais aussi leur plaisir de lire et de comprendre.

MOYENS :

À la suite de la lecture de la première partie, l’enseignant demande aux élèves de se souvenir des évènements marquants montrant le conflit et mettant particulièrement en scène la mort et la disparition. La liste suivante est dressée :

  -Chapitre 13 : abbesse et rats : disparition mystérieuse.

  -Chapitre 17 : Bérénice tue le chat Mauriac.

  -Chapitre 28 : la régression de Bérénice.

  -Chapitre 30 : anorexie.

  -Chapitre 35 : Bérénice tue Mauriac II et l’enterre, suicide du jardinier.

Les élèves réfléchissent individuellement à ce que ces épisodes peuvent vouloir dire, puis ils échangent leurs journaux avec d’autres élèves afin de recevoir une rétroaction. Les élèves continuent à construire leur journal de lecture tout au long du roman en gardant la même thématique.

Cours 6 : L’absence du chapitre 64 et sa symbolique

L’objectif de cette activité est de faire comprendre aux élèves que chaque choix de Ducharme est justifié par rapport au thème du conflit et du manque : le manque du chapitre symbolise le conflit que ressent l’héroïne et son paradoxe existentiel. En évaluation formative, l’enseignant pose cette question : à l'aide de vos livres, de vos notes et de votre journal de lecture, répondez à cette question : « En quoi l’absence du chapitre 64 reflète-t-elle le conflit et le manque que ressent l’héroïne à travers le roman? »

Cours 7-8 : Les référents culturels

OBJECTIF : 

Permettre aux élèves de décoder finement les référents culturels les plus évidents et de comprendre pourquoi Ducharme les a intégrés dans L’avalée des avalés.

Premier cours sur les référents culturels :

L’enseignant demande s’il y a eu quelques référents culturels repérés et prend en note au tableau ceux qui ont rapport avec le conflit.

Il donne ensuite une liste de référents culturels dans le roman et forme quatre grandes équipes. Chaque équipe doit choisir un référent culturel, l’expliciter et faire le lien avec le livre, c'est-à-dire répondre à la question suivante : « Pourquoi Ducharme utilise-t-il ces références? Que représente-t-elle réellement dans le livre? ».

Il donne ensuite l’analyse de la référence culturelle du prénom Bérénice comme exemple. Bérénice est un prénom éminemment juif, en opposition avec Christian, symbole de la chrétienté.

Deuxième cours sur les référents culturels :

Les élèves présentent leurs recherches et leurs réponses aux questions posées.

Liste des référents culturels et de la direction de la réponse attendue :  

-Les références historiques et bibliques ayant le conflit comme arrière-plan :

   -Les Titans, devenant « Le titan » : une personnalisation du temps (Chronos) et de la mort par pétrification

-Les références intertextuelles ayant le conflit comme arrière-plan :

   -Les références sont des références de classiques, basées en général sur des conflits ayant existé, et exaltant les valeurs de l’honneur et du devoir. Mais elles sont traitées avec dérision par la narratrice.

-Le conflit israélo-palestinien dans le livre. (Voir le site Internet : http://education.france5.fr/israel%5Fpalestine/accueil.html)

APRÈS LA LECTURE

Cours 9-10 : Le débat interprétatif

Ce dispositif pédagogique est un moyen privilégié de vérifier la compréhension des élèves et de réinvestir les apprentissages. En équipe, les élèves doivent répondre à la question proposée par l’enseignant : « Entre le début et la fin de L’avalée des avalés, est-ce que le personnage de Bérénice a évolué par rapport à sa volonté d’être. A-t-elle abandonné ses convictions (s’appartenir, ne pas être avalée par la “tribu”.)? »

Avant de lancer le débat, l’enseignant demande aux apprenants d’étoffer leur position à l’aide de faits observables puisés dans l’œuvre.

BIBLIOGRAPHIE

DUCHARME, Réjean, L’avalée des avalés, Paris, Gallimard, coll. Folio, 1999.

Ouvrages de référence :

ARCHAMBAULT, Maryel. Une étude de L’avalée des avalés, coll. Les classiques québécois expliqués, Boréal, Cap-Saint-Ignace, 1997.

LAURENT, Françoise, L’œuvre romanesque de Réjean Ducharme, Montréal, Fides, coll. Approches, 1998.

LEBRUN, Monique, « Un outil d’approbation du texte littéraire : le journal dialogué », dans Pour une lecture littéraire II. Acte du colloque de Louvain-la-Neuve, 1995, Bruxelles, De Boeck-Duculot, p. 272 à 278.

NARDOUT-LAFARGE, Élizabeth, Réjean Ducharme. Une poétique du débris, Montréal, Fides, coll. Nouvelles études québécoises, 2001.

Vidéo :

La Nuit de la Poésie, 27 mars 1970 Auteur / Réalisateur : Jean-Claude Labrecque/Jean-Pierre Masse, Production : ONF, Année : 1970, Durée : 1h51min

Sites internet :

http://www.insecula.com/oeuvre/O0010244.html

http://education.france5.fr/israel%5Fpalestine/accueil.html