Justification du choix de l’œuvre

Boris Vian est sans contredit l’une des figures marquantes du XX^e siècle. Il s’est démarqué tant par la qualité que par la diversité de ses œuvres. En effet, il a marqué le monde culturel par son écriture de romans, de poésie, de nouvelles, de pièces de théâtre, de chansons et de chroniques musicales. Il a aussi été trompettiste de jazz, a joué dans quelques films et a été une des figures les plus en vue du Collège de ‘Pataphysique. La séquence didactique proposée ici a été construite autour d’une de ses œuvres publiées en 1948 : Et on tuera tous les affreux. Il s’agit d’un des quatre romans publiés sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, de qui Vian prétendait être le traducteur. Ces quatre œuvres sont très éloignées de ses autres productions romanesques et c’est en ce sens qu’elles sont intéressantes. Sur le plan de la didactique, il s’agit d’une œuvre pertinente à enseigner parce qu’elle permet de faire d’étroits liens entre les genres, le contexte sociohistorique et le propos de l’œuvre. En effet, ce roman contient une vision du monde fortement marquée par les événements de la Deuxième Guerre mondiale, par la culture populaire de l’époque et par une fascination pour la culture américaine.

Problème à résoudre et objectifs

Le problème que les étudiants devront résoudre lors de cette séquence sera de comprendre la vision du monde véhiculée par le roman Et on tuera tous les affreux ainsi que le lien qui existe entre cette vision du monde et le contexte socioculturel de l’époque.

Comme cette séquence se tiendra dans le cadre de l’ensemble 2 des cours de français au collégial (c’est-à-dire à des étudiants âgés d’environ 18 ou 19 ans ayant déjà suivi un cours de français à ce niveau d’enseignement), les objectifs à atteindre correspondent à ceux prescrits par le ministère, c’est-à-dire :

• D’expliquer une représentation du monde contenue dans une œuvre;
• De connaître les caractéristiques de différents genres (policier, SF, parodie) et d’être capable d’y situer une œuvre;
• De développer les compétences rédactionnelles.

Avant la lecture – création d’un horizon d’attente

Activité 1 : Dégustation de Vian

La première activité consiste en une exploration des multiples facettes de Boris Vian. Ainsi, nous ferons la lecture d’un poème tiré de son recueil Je ne voudrais pas crever, et d’une scène de sa pièce L’équarrissage pour tous. Nous présenterons aussi plusieurs extraits vidéo sur Vian : l’extrait d’une entrevue où il parle de son métier d’ingénieur; l’extrait d’une vidéo où il joue de la trompette dans un bar jazz du Faubourg Saint-Germain; un montage qui insiste sur son antimilitarisme sur l’air du Déserteur; un extrait d’une des adaptations cinématographiques des Liaisons dangereuses dans lequel il tient le rôle de Prévan; une vidéo de Magalie Noël interprétant Fais-moi mal Johny; le documentaire Le dernier jour de Boris Vian qui traite de l’urgence de vivre qui l’habitait et des circonstances particulières de sa mort et finalement, nous terminerons avec une vision romancée de la rencontre de Boris Vian et de Serge Gainsbourg avec un extrait du film Gainsbourg, une vie héroïque.[1]

Activité 2 : L’auteur, et le contexte sociohistorique et artistique

Pour cette activité, le groupe sera divisé en sept équipes qui devront chacune lire un texte sur un élément du contexte sociohistorique ou sur la vie de Boris Vian pour ensuite le résumer à la classe. Les sept textes porteront sur les thèmes suivants : le discours sur la suprématie de la race arienne et l’extermination des Juifs; la France de l’après-guerre : une société en quête de plaisir; Boris Vian et la culture populaire; Vian et le Collège de ‘Pataphysique; le roman policier en France; et les romans signés Sullivan. Lors des présentations, les étudiants devront prendre des notes à l’aide d’une grille, car les éléments mentionnés ici seront utiles lors de l’analyse.

Activité 3 : Le roman policier et le roman noir : atelier de définition d’un genre

Avant de venir en classe, les étudiants devront avoir lu une dizaine d’incipit de romans policiers et de romans noirs[2]. En groupe, nous extrairons les caractéristiques du roman policier, puis nous distinguerons le sous-genre qu’est le roman noir, qui se caractérise par la dégradation de la société qui y est représentée, à l’aide du Manifeste de la « Série noire » de Duhamel[3]. Lors de cette activité, nous insisterons sur les visions du monde qui sont véhiculées dans ce type de roman et qui rejoignent la vision du monde qu’on retrouve dans Et on tuera tous les affreux. Nous ferons aussi un retour sur l’importance de ces genres à la fin des années 40 en France, ce qui permettra de contextualiser Et on tuera tous les affreux.

Activité 4 : Le journal de lecture

Le journal de lecture est un outil qui accompagnera les étudiants tout au long de la séquence. Pour réaliser leur journal, les étudiants devront, pour chaque bloc de lecture (4), commenter un élément du texte qui les a particulièrement marqués. Le sujet doit être amené, posé et développé. Les étudiants devront aussi consigner leurs diverses impressions et hypothèses de lecture qui seront utiles pour l’analyse et la dissertation finale. À la fin de la lecture, il sera ramassé et commenté par le professeur, mais il ne sera pas évalué.

Activité 5 : Discussion autour des horizons d’attentes

Forts de ce que nous avons vu en classe sur l’auteur, sur le contexte sociohistorique et artistique ainsi que sur le roman policier et le roman noir, les étudiants devront, en équipe de quatre, discuter de ce dont ils pensent que le roman Et on tuera tous les affreux va parler. Les hypothèses ainsi émises seront notées dans le journal de lecture.

Pendant la lecture – défaire des nœuds de lecture

Activité 6 : La parodie et le pastiche

L’activité débutera par le visionnement d’un épisode du Cœur a ses raisons[4](émission qui parodie les feuilletons télévisés américains). À la suite de ce visionnement, en plénière, nous définirons la parodie. Par la suite, nous définirons le pastiche. La deuxième partie de l’activité consiste en une discussion en équipe de quatre autour des premiers nœuds de lecture. Les élèves devront discuter de ce qu’ils ont noté dans leur journal et de leur compréhension du texte. De plus, ils devront répondre à la question suivante : « En regard des caractéristiques que nous avons étudiées, peut-on dire que Et on tuera tous les affreux est un roman policier ou une imitation de roman policier? Pourquoi? » Il s’agit de voir en quoi ce livre s’inscrit dans le genre du roman policier ou du roman noir tout en gardant une distance par rapport à cette forme.

Activité 7 : Atelier sur les procédés humoristiques

En équipe, les étudiants devront relever des passages humoristiques et essayer d’expliquer ce qui fait que c’est drôle. Ils auront à leur disposition des documents qui expliquent les procédés humoristiques. Par la suite, les étudiants seront invités à réfléchir au rôle de l’humour dans Et on tuera tous les affreux : Qu’est-ce que ça apporte à l’histoire et au propos? Dans ce roman, l’humour repose surtout sur un décalage entre la gravité ou la violence des situations et le badinage des personnages ou encore sur des euphémismes. Pour Raymond Devos, « le rire est une sorte de soupape qui permet de supporter l'absurdité du monde... et de pouvoir continuer à vivre.[5] » Cette citation peut être très utile pour l’analyse du roman. Ainsi, les étudiants pourront voir que l’humour est une des façons de traiter les thèmes contenus dans le roman.

Activité 8 : Autour du laboratoire du Dr Schutz

Cette activité débutera par l’activation des connaissances des étudiants sur la science-fiction. En groupe, ils devront nommer des œuvres de science-fiction qu’ils connaissent. Avec ces exemples en tête, ils se regrouperont en équipes de quatre afin d’extraire les caractéristiques du genre ainsi que les thèmes les plus fréquemment abordés. Ensuite, nous ferons une mise en commun et ferons des rectifications, si nécessaire. Par la suite, l’enseignant fera un court exposé sur la contribution de Boris Vian à l’introduction de ce genre en France à la fin des années 40 et au début des années 50.

Par la suite, il y aura un exposé magistral sur la pataphysique : ses origines jarryesques, sa définition (science des solutions imaginaires), le Collège de ‘Pataphysique et l’implication de Vian en son sein. Nous représenterons le court extrait du film La vie jazz[6] où Vian parle de la nécessité d’avoir un diplôme sérieux pour dire des bêtises de façon convenable. Nous ferons ensuite la lecture à voix haute d’un extrait de L’écume des jours où est décrit le « pianocktail », une invention que l’on peut qualifier de pataphysique. Nous allons insister sur les détails et le réalisme avec lequel est décrite cette invention, puis nous allons présenter des extraits vidéo de prototypes de cette invention[7].

Une fois la présentation de la pataphysique terminée, les étudiants devront mettre la main à la pâte en créant eux-mêmes une invention d’inspiration pataphysique. Dans un texte d’environ 500 mots, les étudiants devront décrire leur invention. La rédaction débutera en classe, mais les étudiants pourront la terminer à la maison. Au cours suivant, les étudiants devront s’autoévaluer à l’aide d’une grille comprenant les critères suivants : « mon invention est originale; ma description est suffisamment claire et détaillée; je respecte les caractéristiques de la pataphysique; j’écris dans une langue de qualité. » Le texte et l’autocorrection seront remis à l’enseignant afin que ce dernier puisse faire un retour avec les étudiants sur leurs forces et leurs faiblesses en autocorrection.

Le dernier volet de l’activité 8 consiste en une discussion en équipe autour du laboratoire du Dr Schutz. Pour guider la discussion, nous poserons les questions suivantes : reconnaissez-vous des influences de la science-fiction et de la pataphysique lors de l’épisode de la visite du laboratoire? Qu’est-ce que ce laboratoire a de particulier? Vous fait-il penser à autre chose que vous avez déjà vu? Qu’est-ce qui s’y passe? Comment les personnages y interagissent-ils? Quels thèmes sont abordés et de quelle façon sont-ils traités? Est-ce que cette visite respecte l’esprit du roman policier? Ces activités autour du laboratoire du Dr Schutz sont utiles pour comprendre cet épisode crucial du roman.

Après la lecture – analyse, dissertation et retour sur les apprentissages

Activité 9 : Deux thèmes : la sexualité et la beauté

En équipe, les étudiants devront discuter du traitement des thèmes principaux de l’œuvre. Ils devront d’abord se demander pourquoi la sexualité est omniprésente dans le roman et ce que ça apporte au texte. La sexualité est un élément qui revient continuellement dans le roman, mais elle n’en est pas le thème principal. Elle contribue plutôt à construire la vision du monde qui est véhiculée dans le livre et qui est en lien avec le contexte socioculturel de l’époque. Le thème principal de l’œuvre serait plutôt la beauté, un autre élément qui est omniprésent dans le roman. Les questions suivantes guideront leurs réflexions sur le thème de la beauté : comment parle-t-on de la beauté dans le livre? Est-elle valorisée? Présentée comme quelque chose d’important? Comment les genres que nous avons étudiés contribuent-ils au discours sur la beauté? Est-ce que Rocky est un être narcissique? Comment agissent les personnages féminins? Quel est leur rapport à la beauté? Qu’est-ce que la beauté selon Et on tuera tous les affreux? Cette discussion autour des thèmes permettra aux étudiants de dégager le sens global de l’œuvre. Il s’agit d’une préparation importante pour la dissertation finale.

Activité 10 : Le Dr Schutz et le Meilleur des mondes

À la maison, les étudiants devront lire les six premiers chapitres du roman Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Il y a une parenté évidente entre le projet de création d’un monde plus beau que Dr Schutz tente de mettre en œuvre et la société inventée par Huxley. Ainsi les étudiants devront, en classe et en équipes, relever les ressemblances et les différences entre les deux « mondes » décrits ainsi qu’entre les formes utilisées pour traiter les thèmes. Cette activité permet aussi de comparer les traitements différents d’un même thème en plus d’enrichir l’analyse que les étudiants font de Et on tuera tous les affreux.

Activité 11 : Clôture de l’analyse : vers la dissertation explicative

Lors d’un exposé magistral, nous reprendrons les différents éléments analysés afin d’en faire une synthèse. Par la suite, nous déterminerons en groupe la question de dissertation. Elle pourrait être de cet ordre : « Expliquez en quoi la vision du monde véhiculée par Et on tuera tous les affreux est liée au contexte socioculturel de l’époque, tant par ses thèmes que par sa forme. » Une question de ce type permettrait de résoudre les problèmes posés en début de séquence et d’atteindre les objectifs fixés.

Activité 12 : Rédaction de la dissertation (30%)

L’activité 12 consiste en la rédaction de la dissertation explicative qui comptera pour 30% de la session. Comme il s’agit de la deuxième dissertation de la session, les étudiants connaissent déjà cette forme. La rédaction débute en classe, mais les étudiants peuvent la terminer à la maison et utiliser les différents outils à leur disposition pour corriger leur texte. Par ailleurs, la correction des dissertations sera faite à l’oral.

Activité 13 : Retour sur les apprentissages

Pour clôturer la séquence, nous ferons un retour sur les apprentissages à l’aide d’un questionnaire d’autoévaluation comportant les questions suivantes : Qu’avez-vous appris en termes de connaissances et de compétences? Avez-vous rencontré des difficultés? Comment s’est déroulé le travail en équipe (avantages et inconvénients)? Qu’avez-vous préféré dans la séquence? Quelle est votre réalisation principale? Ce retour sur les apprentissages est une bonne façon de faire prendre conscience aux étudiants du chemin qu’ils ont parcouru et de mettre l’accent sur les stratégies qu’ils ont mis en œuvre pour y arriver.

[1] Extrait d’entrevue sur le diplôme d’ingénieur de Vian (intro pataphysique) (2 min) : http://www.youtube.com/watch?v=xnjavPXOyWw ;

Trompettiste de jazz (1 min) : http://www.dailymotion.com/video/xtqsp_vian-a-st-germain-des-pres_music ;

La chanson et l’engagement antimilitariste – Le déserteur (2 min) : http://www.dailymotion.com/video/xtqz3_boris-vian-le-deserteur_music ;

La chanson éclatée – Fais-moi mal (2 min) : http://www.dailymotion.com/video/xtqwi_magali-noel-fais-moi-mal-de-vian_music ;

Le dernier jour de Boris Vian : l’urgence de vivre (mort, écriture sous pseudonyme) (13 minutes) : http://www.dailymotion.com/video/xa7ae4_le-dernier-jour-de-boris-vian-1990_shortfilms ;

Acteur (les liaisons dangereuses) (2 min) : http://www.youtube.com/watch?v=Jydn56Cr9tw

[2] Blacksad (bande-dessinée) de Diaz Canales et Guarnido; Le rouge idéal de Jacques Côté; Le faucon maltais de McBain; Conversations criminelles de Peter Cheyney; Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino; Le chien des Baskerville de Conan Doyle; Le crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie; Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur de Maurice Leblanc; Du plomb comme pourboire de Pinson du Champ D’Ail; et La chambre bleu de Simenon.

[3] Duhamel, M. (1948). Cité dans l’article sur « Marcel Duhamel », Wikipédia. En ligne (récupéré le 18 avril 2011). http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Duhamel

[4] Brunet, M. (2008). Le cœur a ses raisons. Montréal : Zone 3.

[5] Alvarez, G. (1982). « Les mécanismes linguistiques de l’humour », Québec français, n° 46, p. 24.

[6] Kohly, P. (2009). La vie jazz. (60 minutes).

[7] Vidéo d’un « pianocktail » : http://www.youtube.com/watch?v=NQMq6VLpmMY