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Hadassa

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Hadassa
BEAUDOIN, Myriam
Par Ariane Maheux-Tremblay


Nationalité de l'auteur : Québécoise
Genre : Roman
Courant : Postmodernité
Siècle : 21e siècle
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Ariane Maheux-Tremblay
Date du dépôt : Automne 2012


Avec son roman Hadassa[1], Myriam Beaudoin plonge son lecteur au cœur d’un univers complètement nouveau, bien que l’histoire se déroule dans une époque qui nous est contemporaine et, qui plus est, à Montréal, un lieu qui est somme toute assez proche de nous, lecteur québécois. À Montréal, certes, les classes de niveau collégial illustrent la diversité culturelle présente dans la ville mais, à Québec et dans la plupart des cégeps en région, cette réalité se fait encore discrète. De plus, il reste que, malgré la diversité culturelle grandissante, la plupart des élèves que nous rencontrons ont grandi au sein de la culture québécoise, qu’ils considèrent comme la leur. L’univers présenté par Myriam Beaudoin sort complètement de cette norme culturelle relativement répandue dans les collèges, mais, plus encore, il présente, dans les rues de Montréal, ville si familière pour la plupart d’entre nous, l’Autre, l’étranger, vivant dans une culture complètement différente pourtant elle aussi bien ancrée dans la ville.

 

La rupture, la présence de l’étranger chez soi peut sembler poser problème et incite à se questionner sur son identité et sur la question de la différence, sur la façon dont elle se construit, sur ce qui la justifie et sur la valeur à y accorder. Comme l’explique Pierre Ouellet, « [i]l faut aujourd’hui faire l’effort d’imaginer une communauté fondée non plus sur un principe d’identité mais sur l’expérience même de l’altérité la plus radicale.[2] » Dans le monde actuel, devenu hétérogène, la confrontation à la différence force la redéfinition de soi ; on se définit non plus par la construction d’une identité commune comme lors de la Révolution tranquille, mais plutôt en s’interrogeant, en se positionnant, en trouvant sa place dans ce monde de pluralité. Hadassa est le lieu d’une rencontre entre, d’une part, une Québécoise montréalaise et la culture juive hassidique et, d’autre part, entre cette même culture et un polonais établi au Québec depuis peu. Plusieurs barrières se dressent entre les personnages : la culture, la religion, la langue. Peut-on réellement communiquer, s’ouvrir à l’autre malgré ces barrières? Comment y arriver?

 

Deux histoires en parallèle motivent le récit. Il y a Alice, professeure de français engagée pour enseigner aux filles en sixième année, dans une école juive hassidique où le matin est consacré à la culture hassidique, où les enfants parlent yiddish, et où, l’après-midi, les jeunes filles doivent apprendre le français afin d’être en mesure de se débrouiller pour communiquer au quotidien dans la ville le jour où elles seront mariées et deviendront femmes de maison. Alice est une goya, une étrangère, elle n’a le droit ni de toucher aux filles, ni de connaître quoi que ce soit de leur culture aux secrets bien gardés, elle doit respecter des règles vestimentaires strictes et il est hors de question de saluer une juive hors du contexte scolaire, même s’il s’agit d’une de ses élèves : les jews ne se mêlent en aucun cas aux goy.

 

Jan, épicier polonais qui travaille aux côtés de Charles, est confronté différemment à cette culture mystérieuse qu’est celle des juifs hassidiques. Il y a cette femme qu’il a vue à l’épicerie, leurs regards se sont croisés, le temps s’est arrêté. Ils pensent constamment l’un à l’autre. Mais elle est juive et lui, non. Elle est mariée et, de toute façon, elle ne doit pas parler aux goy. Mais c’est là, c’est plus fort qu’eux, il y a ce lien qui s’est créé entre eux depuis le premier jour et, surtout, il y a la barrière de la religion.

 

Dans les deux histoires, il y a cette même barrière entre deux mondes qui se côtoient sans jamais se rencontrer, des règles strictes pour éviter les contacts, mais aussi cet attrait, cette envie de découvrir l’Autre et ce monde étranger dans lequel il évolue, et cette tension entre l’interdit et la curiosité ne semble jamais résolue. Notre but ici est d’amener les étudiants à ressentir cette tension et à cerner comment elle s’articule dans le roman, tant à l’aide d’appuis thématiques que formels, notamment en ce qui a trait à la narration et au point de vue.

 

Nous choisissons, pour cette séquence didactique, de proposer la lecture de cette œuvre dans le cadre d’un cours de français 103, soit le cours de littérature québécoise. Les étudiants seront donc amenés à poser un regard critique sur l’œuvre de Myriam Beaudoin. Nous les inviterons, comme nous le verrons plus loin, à confronter leurs idées, leurs visions des choses, ce qui sera alimenté par le choc culturel mis en scène dans le roman. Plus précisément, nous aurons pour objectifs d’amener les étudiants à :

  1. S’interroger sur le rapport à l’Autre et à la différence.
  2. Réfléchir sur la notion d’interdit et le dépassement des limites.
  3. Acquérir des outils d’analyse du texte narratif (notamment : narration, point de vue, schéma narratif, schéma actantiel) et les utiliser pour alimenter leur réflexion sur l’œuvre et appuyer leur analyse.
  4. Rédiger un texte de nature essayistique ou dissertative proposant un point de vue critique cohérent et appuyé de façon pertinente.

 

Si chaque bloc de lecture aura pour but de mettre en évidence certains éléments particuliers du récit, il n’en demeure pas moins que le contenu des séances sera essentiellement basé sur la discussion entre les élèves et le partage en grand groupe, afin de favoriser la pensée critique et l’autonomie des étudiants dans leur démarche interprétative. En effet, il importe que les étudiants aient l’occasion de mettre à l’épreuve leurs idées, de les confronter par le dialogue : « le commentaire personnel est susceptible de bouger, s’il ne reste pas une activité solitaire, tournée vers soi et ne concernant que soi. Le commentaire, oral ou écrit, autorise une mise en circulation, une socialisation de la lecture individuelle.[3] » C’est pour cette raison que le processus entourant l’étude de l’œuvre est basé avant tout sur la discussion.

 

 

Avant la lecture

 

En premier lieu, nous introduirons l’œuvre, avant même que sa lecture ne débute, par le biais d’un dossier de presse[4] traçant la trame narrative et les enjeux de l’œuvre, dossier qui propose non seulement du point de vue de la critique, mais également le regard de la communauté juive sur l’œuvre. Nous aborderons également ici le contexte de parution de l’œuvre, qui est abordé rapidement dans les articles ; en effet, c’est en 2006, année de parution de Hadassa, qu’a commencé le conflit israélo-libanais, conflit armé qui a engendré une opinion publique plutôt négative de la communauté juive.

 

Pourtant, le roman de Myriam Beaudoin a reçu une critique très favorable et a été primé, comme nous le verrons avec les étudiants, en recevant le Prix littéraire des collégiens 2007 de même que le Prix des lecteurs France-Québec. Le roman s’est également retrouvé en lice pour le Prix des libraires du Québec. Nous tenterons, avec les étudiants, de cibler, à partir de ce qui se dégage des articles proposés, ce qui a permis à l’œuvre de s’inscrire ainsi dans l’institution littéraire. Par exemple, l’ouverture à l’autre, le regard nouveau sur la réalité (on apprend dans le dossier de presse que, à ce jour, seuls deux romans québécois abordent la question de la communauté juive hassidique) des juifs hassidiques, le style particulier de l’auteure qui, à la manière de Dickner dans Nikolski, récipiendaire du Prix littéraire des collégiens deux ans plus tôt, entremêle des histoires distinctes qui pourtant finissent par se rejoindre, ce sont là des éléments que les étudiants pourraient relever.

 

Toutefois, les possibilités sont multiples et le but ici est non pas de cibler des éléments précis à faire ressortir, mais bien de rebondir sur les idées amenées par les étudiants et de les guider, autant pour les amener à réfléchir sur l’institution littéraire et ses critères que pour leur faire sentir la pertinence de cette œuvre comme objet d’étude et comme objet signifiant dans le cadre culturel québécois actuel. Il importe en effet, pour que l’œuvre devienne signifiante aux yeux des étudiants, que sa pertinence ne soit pas dévoilée par l’enseignant, mais qu’elle soit éprouvée par les étudiants eux-mêmes. De plus, leur participation étant grandement sollicitée, les étudiants deviennent plus susceptibles de s’investir dans leur apprentissage, voire d’y prendre plaisir.

  

Pendant la lecture

           

            Nous inviterons, bien entendu, les étudiants à prendre des notes au cours de leur lecture. Ils peuvent noter des interrogations, marquer certains passages qu’ils apprécient ou qui les choquent, ce qui relève d’une première impression. Nous leur proposerons également de relever des informations sur les personnages et les caractéristiques qui les distinguent, les difficultés qu’ils rencontrent, bref ce qui les inscrit dans la norme ou dans la différence, puisque le roman joue beaucoup sur cette différence, sur ce rapport particulier à l’étranger et à la culture, elle aussi étrangère.

 

            Nous demanderons également aux étudiants de tenir un journal de bord au fil de leur lecture. Comme la lecture sera divisée en quatre blocs (quatre semaines), un minimum de quatre entrées sera demandé. Le journal servira en fait à pousser plus loin les réflexions amorcées par les étudiants lors de la lecture et de la prise de notes. Ainsi, le journal leur servira à réfléchir sur ce qui les a choqués, ce qui les a surpris, ce qu’ils ont relevé, notamment en ce qui a trait à la culture et au rapport à la norme.

 

En fait, nous les inviterons plus précisément, au fil de la lecture et des discussions en classe, à réfléchir sur l’idée de culture : qu’est-ce que la culture, en quoi consiste-t-elle, comment se définit-elle, que comprend-elle? de même qu’à l’idée de norme et de différence : qu’est-ce que la norme, comment se définit-elle, qu’est-ce qui fait que quelqu’un s’inscrit dans la norme alors qu’un autre s’en distingue,  pourquoi pas l’inverse? Il s’agit en fait d’amener les étudiants à amorcer leur réflexion sur l’œuvre de façon individuelle, mais en les guidant, afin que leur réflexion se présente de façon non seulement impressive, mais de plus en plus construite, appuyée.

 

Après la lecture

 

            Le premier bloc (jusqu’à la p. 58), dont la lecture est à compléter pour la première semaine, consiste en une mise en place des deux histoires qui composent le roman. Les étudiants seront soumis à un test de compréhension de lecture afin, d’une part, de les inciter à compléter leur lecture à temps, certes et, d’autre part, de s’assurer que les étudiants commencent déjà à cerner les enjeux centraux du récit.

 

Une discussion suivra donc le test de lecture afin de comprendre le rapport qu’entretiennent les personnages avec un univers qui leur est étranger. Dans un premier temps, les étudiants seront invités à se regrouper en équipes de quatre ou cinq pour partager leurs expériences, qui nous serviront de points de départ pour analyser le rapport à l’autre dans le roman. En effet, plusieurs étudiants sont susceptibles d’avoir expérimenté des situations, lors de voyages à l’étranger ou même simplement d’un changement d’environnement ou d’emploi, par exemple, où ils ont été confrontés à des normes inhabituelles ou à un accueil peu invitant en raison de l’écart entre eux et le nouveau contexte. Un tel rapprochement est susceptible de contribuer à rendre intéressante l’œuvre de Beaudoin aux yeux des étudiants, puisque non seulement ils sont en mesure d’y reconnaître le contexte, mais ils sont également capables d’effectuer des rapprochements avec leur vie en ce qui a trait aux thématiques abordées.

 

Nous leur proposerons également un court extrait[5] des Lettres chinoises[6] de Ying Chen, dont la lecture pourra également alimenter la discussion, dans la mesure où on y voit la confrontation du personnage de Yuan à un nouvel univers, Vancouver puis Montréal, deux villes très différentes de son pays d’origine. Il va sans dire que, pendant que les étudiants discutent – et ce sera le cas chaque fois qu’il y aura des discussions ou des exercices réalisés en équipes –, le professeur se déplace dans la classe afin de répondre aux questions s’il y a lieu et de guider les étudiants pour s’assurer qu’ils ne s’écartent pas. Nous poursuivrons la discussion en grand groupe afin de lier au roman ces éléments qui marquent un écart entre un individu et une norme. L’intérêt de cette discussion est donc de rendre tangible aux yeux des étudiants cette idée de la différence, essentielle au sein du récit.

 

À ce titre, la question de l’indécence est récurrente dans le premier bloc de lecture : il y a des normes – dictées par la communauté et les croyances juives – auxquelles il faut se conformer. Ainsi, Alice explique d’emblée qu’elle est « vêtue selon les normes du contrat qui excluaient les blouses sans manches, les jupes au-dessus du genou, les pantalons, les tissus qui brillent, les coupes ajustées.[7] » Engagée comme professeure de français dans une école de la communauté hassidique, elle n’est plus dans la ville de Montréal telle qu’elle la connaît, celle au sein de laquelle s’inscrit, en marge de la société, la communauté juive hassidique ; désormais, Alice est celle qui est étrangère, et elle doit se conformer à une multitude de règles, au même titre que les femmes juives. Elle porte donc attention à ses mouvements, « pass[e] le balai sans trop [s]’incliner afin d’éviter un mouvement indécent et condamnable[8] », bref elle est soumise aux normes d’une communauté qui n’est pas la sienne, dont elle est et restera exclue, parce que les juifs et les goy (les étrangers) ne se mélangent jamais. Plusieurs sujets sont tabous, aucun réel partage n’est autorisé.

 

Dans le même ordre d’idées, des interdits pèsent également sur la jeune femme juive qui entre dans l’épicerie où travaille Jan, « walking in a quiet, natural and unpleasant manner which does not catch the eye or attract undue attention[9] ». Les deux femmes sont des étrangères, l’une dans la communauté juive, l’autre dans le grand Montréal. La religion est une barrière, la culture en est une autre, la langue, encore une. Nous voulons amener les étudiants à prendre conscience de l’importance de ces différences et des considérations qu’entretiennent les jeunes femmes quant à ces barrières entre elles et les gens du milieu dans lequel elles se retrouvent.

 

Nous les amènerons ensuite à poursuivre cette réflexion sur la signification à accorder à cet écart entre les personnages et le groupe de référence par le biais d’un bref exposé magistral où nous introduirons la notion d’altérité selon Janet M. Paterson. Elle explique en effet que l’Autre se définit par rapport à un groupe de référence, lui-même caractérisé par une appartenance commune de ses membres à certaines normes[10]. Tout est donc question de contexte, et c’est le point de vue choisi qui permet de rendre compte de la différence ; l’écart est perçu différemment de la part d’un membre du groupe de référence et de la part du personnage Autre, étranger. Les points de vue différents adoptés dans la narration du roman, du côté d’Alice, d’une part, qui narre elle-même son histoire et, d’autre part, du côté de Jan et Déborah, où le narrateur se pose en observateur et propose une vision extérieure des événements.

 

En effet, la narration joue ici un rôle clé : « dans le roman postmoderne, l’acte d’énonciation ne se caractérise pas uniquement par la mise en place d’un « je » narratif, mais par une pluralité de voix narratives. […] [C]es voix produisent rarement un discours unifié. Elles refusent, au contraire, d’admettre une seule vision et une seule autorité […].[11] » Et c’est précisément cette multiplicité des points de vue, autorisée par la présence de multiples narrateurs, qui rend ambiguë la norme dans le roman de Myriam Beaudoin. Parce que nous sommes (pour la plupart) Québécois, nous avons tendance, lors de notre lecture, à nous identifier aux goy dans le roman – le processus d’identification se fait en général avec le personnage qui se rapproche le plus de nous –, alors que, selon le point de vue adopté, le groupe de référence n’est pas le même, ce qui fait que la notion d’altérité s’applique complètement différemment.

 

Maintenant que les étudiants ont saisi le caractère primordial de cette idée de différence, nous les inviterons à discuter, encore une fois en petits groupes de quatre ou cinq, de cette question : par quels moyens la différence entre les personnages est-elle mise en évidence dans le roman? Ils seront ainsi amenés à relever des éléments thématiques de même que formels – la notion de point de vue devrait ici prendre son sens, puisqu’elle devient nécessaire pour expliquer la perception de la différence – et à les rendre signifiants : les choix formels concourent à mettre en évidence certains enjeux au sein du récit. Un retour en grand groupe sur les éléments relevés dans les discussions clora le premier bloc.

 

Le deuxième bloc de lecture (jusqu’à la p. 100), à lire pour la deuxième semaine, permettra d’aborder l’idée du désir interdit. Jan, un goy, attire Déborah et est attiré par elle ; Alice, une goya, manifeste l’envie de découvrir l’univers des jeunes juives hassidiques auxquelles elle enseigne. Les deux univers ne se côtoient que de façon minimale, mais aucun contact n’est autorisé entre eux hors du cadre scolaire ou du strict minimum exigé par la vie courante. Aucun partage n’est permis non plus : les coutumes doivent demeurer secrètes, la communauté juive ne doit rien divulguer concernant sa culture, mais ne doit pas non plus être corrompue par le monde « extérieur ». Et on sait que l’interdit a toujours un attrait indéniable.

 

À ce propos, nous présenterons aux étudiants un bref extrait d’une émission de télévision[12] où est justement abordée cette question du risque, de l’attrait de l’interdit, par l’intermédiaire d’un jeune garçon qui se plaît à marcher sur l’autoroute les yeux fermés, entre les voitures qui passent de chaque côté de lui et de son ami, qui lui répète que c’est une mauvaise idée, qu’il agit inconsciemment et risque de se blesser ou même de se tuer. L’adolescent veut se tester, repousser les limites, se confronter à un réel défi – qui implique donc un certain danger.

 

Nous demanderons aux étudiants de partager leurs impressions sur le vidéo, d’abord en grand groupe, avant, en équipes, de pousser un peu plus loin la réflexion, que nous guiderons par des questions : pourquoi l’adolescent agit-il ainsi? Qu’est-ce qui justifie cette envie irrésistible d’aller vers le danger? En fait, nous voulons utiliser ce vidéo pour amener les étudiants à « [e]xplorer l’implicite, pratiquer des mises en relations variées et complexes, sur le mode de l’analogie ou du contraste, [qui] sont des démarches intellectuelles fécondes, propres à favoriser une lecture riche et distanciée.[13] » Certes, il y a beaucoup plus de non-dits dans Hadassa, mais c’est là l’intérêt du vidéo : les étudiants doivent cerner les convergences et les divergences dans la façon dont est présenté l’attrait de l’interdit. Ainsi, quels rapprochements peut-on effectuer entre le vidéo et le roman de Myriam Beaudoin? Cette curiosité envers l’interdit est-elle saine ou au contraire malsaine? Où est la limite entre ce que l’on peut et ce que l’on ne peut pas faire? Qu’est-ce qui détermine cette limite? Dans le contexte de Jan et Déborah et celui d’Alice et de ses élèves, est-il plus sage de limiter les contacts, d’éviter l’attachement? Nous demanderons aux étudiants de mettre sur papiers les idées qui ressortent des discussions, puisque cela leur servira pour le cours suivant.

 

Nous aborderons également brièvement, dans la deuxième partie du cours, le contexte culturel québécois actuel, qui en est un d’ouverture à l’autre, mais qui demeure partagé – nous l’avons vu dans les dernières années avec la question des accommodements raisonnables, qui a créé plusieurs remous. En effet, « [d]es questions pressantes interpellent le Québec pluraliste.  Comment conjuguer l’universalité des droits – les individus sont traités de la même façon quelles que soient leurs différences – et les demandes de reconnaissance des besoins particuliers de certains sous-groupes?  Jusqu’où faut-il aller pour accommoder l’expression de la différence?  Quels sont au contraire les éléments fondamentaux de notre société qui ne sauraient souffrir de compromis?[14] » Le roman joue beaucoup sur cette notion de différence religieuse et il y est question, de façon récurrente, du fait de devoir se conformer aux règles établies par le groupe de référence – qui, rappelons-le, varie selon le point de vue que nous adoptons. Cette brève discussion contribuera elle aussi à préparer l’activité du cours suivant.

 

À la fin du cours, nous diviserons la classe en quatre en prévision d’un débat qui aura lieu à la séance suivante : les étudiants se présenteront soit à la première heure, soit à la deuxième heure (deux groupes pour chaque heure). En séparant ainsi le groupe, nous permettons à un plus grand nombre d’étudiants de prendre la parole au cours du débat (donc aux étudiants gênés de se manifester), puisque les groupes sont restreints. Pour chaque heure, nous demanderons à un groupe de défendre l’idée qu’il faut respecter la séparation entre les univers distincts des personnages et, à l’autre groupe, celle qu’il faut tenter de briser l’isolement en tentant d’aller vers l’Autre et de s’ouvrir à lui. Les étudiants pourront utiliser la fin du cours pour rassembler quelques arguments à défendre.

 

Le cours suivant consistera en un débat (45 minutes pour chaque moitié du groupe), que nous animerons afin de nous assurer que l’on ne s’écarte pas du sujet, que les arguments demeurent pertinents et que tout se déroule dans le respect des idées des autres.

 

Le troisième bloc de lecture (jusqu’à la p. 148) sera l’occasion de proposer aux étudiants une activité de création. Pour la première fois, cette partie du roman révèle quelques brèches dans le mur qui sépare les deux mondes, ce dont nous discuterons en grand groupe : les étudiants partagent-ils cette impression? Quelles brèches perçoivent-ils? Alice voit s’ouvrir une fenêtre sur la communauté juive à travers les compositions qu’ont rédigées ses élèves et où elles racontent des événements dans lesquels transparait la culture hassidique. Lors d’une promenade avec ses élèves, l’institutrice découvre même le lieu où demeure la petite Hadassa, qu’elle affectionne particulièrement. La fête d’Halloween permet également un rapprochement des deux mondes lorsque les jeunes filles se mettent à décrire leurs déguisements pour la fête juive de Pourim. Du côté de Déborah, elle est confrontée à tous les interdits de sa religion lorsque Jan ose l’aborder : elle ne peut pas, elle n’a pas le droit de lui parler même si elle est tentée puis, tout à coup, elle dérape et ose : elle lui dit son nom.

 

Ces brèches se referment, puisque Déborah réapparaît dans le roman aux côtés de son époux et qu’Alice, lors de la rencontre avec les parents des élèves, se voit réprimander par la mère d’Hadassa à propos des lectures peu convenables qu’elle propose aux élèves : les Schtroumpfs. Toutefois, bien que ce rapprochement ne dure pas, nous voulons proposer aux étudiants de prolonger l’ouverture entre les deux mondes en imaginant un passage (une à deux pages manuscrites) qui s’inscrit à la suite d’un des événements mis en scène dans ce bloc de lecture (nous en avons ciblé quelques-uns au paragraphe précédent et nous en aurons sans doute ciblé d’autres en grand groupe) ou qui en propose carrément une version différente. Nous voulons ainsi permettre aux étudiants de ressentir d’eux-mêmes, de façon plus intrinsèque, la difficulté de franchir la limite entre les deux mondes. En se mettant dans la peau du personnage qu’ils auront choisi, ils seront amenés à prendre conscience, sans cette fois que ce soit de façon extérieure au récit, des interdits qui pèsent sur les personnages, d’en sentir l’importance et le poids. De plus, l’écriture oblige les étudiants à « être attentif[s] aux propriétés du texte […] afin de les assimiler avec une certaine empathie. Mais moins pour les analyser et les décrire que pour en exploiter et en explorer les possibilités afin d’élaborer non pas un métatexte mais un nouveau texte.[15] » Écrire dans le prolongement du roman implique de prêter attention, bien que de façon pas nécessairement consciente, au style de l’auteur, à la narration, bref à la forme du texte. C’est lorsqu’on prend une distance par rapport à son texte qu’on peut prendre conscience des ressemblances et des disparités entre les deux textes, de ce qui a fonctionné ou non.

 

Le cours suivant sera donc consacré à un retour sur les textes de création. Nous inviterons les étudiants à rédiger un commentaire justificatif sur l’exercice du cours précédent : pourquoi ont-ils choisi tel passage? Pourquoi ont-ils opté pour un narrateur plutôt qu’un autre? Nous voulons les inciter à réfléchir sur les choix d’écriture qu’ils ont effectués, et nous voulons qu’ils soient en mesure de justifier leur pertinence, d’argumenter en ce sens. Nous ramasserons les commentaires avant de discuter en grand groupe des impressions des étudiants sur l’activité et de ce qu’ils y ont appris.

 

La dernière partie du cours servira à préparer le cours suivant : comme l’analyse finale approche, nous devons nous assurer que les étudiants sentent qu’ils ont en main des outils théoriques susceptibles de leur être utiles pour appuyer leur propos. Nous aborderons donc la question du schéma narratif. Plusieurs étudiants l’ont déjà vu dans leurs cours précédents (101, 102), mais nous voulons nous assurer que tout le monde part du même point, se rappelle les notions et les comprend bien. Nous appliquerons, en groupe, le schéma à l’œuvre de Myriam Beaudoin, afin que les étudiants aient des points de repère concrets, de même que pour leur donner l’occasion de confronter leurs points de vue, qui peuvent parfois diverger, et de les justifier.

 

Enfin, le quatrième bloc de lecture (jusqu’à la p. 197) servira de synthèse. On y voit apparaître une forme de communion entre les deux univers, le temps d’un bref instant : Alice est invitée au wedding de Rifky (les juifs maîtrisant mal le français, certains mots dans leur vocabulaire sont toujours utilisés en yiddish ou en anglais), cérémonie pendant laquelle elle est, pour la première fois, autorisée à parler à ses élèves hors du cadre scolaire. Elle partage même avec elles l’espionnage des hommes qui dansent, l’autre côté d’une série de paravents qui les isolent de la gent féminine. Ensuite, il y a le retour à la réalité, c’est la fin de l’année scolaire et, pour les élèves, la fin de l’enfance. Elles apprendront dès l’année suivante à devenir des femmes juives vouées à leur futur époux et à maîtriser les rituels religieux.

 

Du côté de Déborah, elle et Jan se voient, se rapprochent l’un de l’autre dans la ruelle, puis dans le parc. Déborah ose même, à l’épicerie où travaille Jan, en présence de Charles, l’épicier, toucher son chat, allant jusqu’à rire près du goy. Elle transgresse un interdit. Dans son cas, c’est donc le désir de l’interdit qui semble l’emporter, au contraire des élèves d’Alice, pour qui la vie suit son cours, puisqu’elles monteront à l’étage supérieur de l’école l’année suivante, pour ne plus jamais avoir de contact autre que ceux exigés par la vie courante avec des goy. Alice ose, une fois seulement, désigner Hadassa par son surnom, Dassy, et la jeune fille la fusille du regard en lui disant : « Madame Alice, moi je suis HA-DAS-SA.[16] »

 

Maintenant que les étudiants ont une vue d’ensemble de l’œuvre, nous leur proposerons, en continuité avec le schéma narratif réalisé la semaine précédente, de tracer le schéma actantiel des personnages du roman. Nous déterminerons d’abord, en grand groupe, quels sont les personnages principaux (possiblement Alice, le groupe de jeunes filles, Jan, Déborah), puis nous diviserons la classe en équipes afin que chaque équipe construise le schéma actantiel lié à un personnage prédéterminé. Un minimum de deux ou trois équipes travailleront sur un même personnage afin de permettre, lors de la mise en commun qui suivra, une confrontation de différentes visions qui peuvent se compléter.

 

L’étude de l’œuvre s’achèvera par une rédaction, à laquelle les élèves pourront donner la forme d’un essai ou d’une dissertation critique. S’ils choisissent la seconde option, ils devront répondre à la question : « Peut-on dire que, dans Hadassa de Myriam Beaudoin, les personnages d’univers différents arrivent à se rejoindre? » Ceux qui opteront pour l’essai auront une consigne semblable, soit celle de « proposer une réflexion sur la rencontre entre les personnages appartenant à des mondes distincts dans Hadassa de Myriam Beaudoin ». Nous tenons ici à donner aux étudiants l’occasion de pratiquer la dissertation critique telle qu’ils auront à la rédiger dans le cadre de l’Épreuve uniforme de français, mais nous tenons à leur laisser le choix, notamment pour que les élèves qui maîtrisent déjà bien la dissertation aient la possibilité d’explorer une nouvelle forme de rédaction, plus libre, certes, mais qui peut aussi comporter certains défis supplémentaires. Dans les deux cas, ils s’exerceront néanmoins à défendre leurs idées et à appuyer leurs arguments.

 

Dans l'ensemble, notre but est donc de partir des impressions premières des étudiants, celles consignées et analysées une première fois dans le journal de bord, pour analyser l'œuvre et cerner ses enjeux par le biais de discussions en classe. Nous voulons en effet amener les étudiants à confronter leur vision des choses à celle des autres étudiants, pour qu'ils s'habituent à poser un regard objectif sur les différentes idées proposées, incluant les leurs, de même qu'à justifier ces dernières en s'aidant d'une argumentation de plus en plus construite, de mieux en mieux appuyée au fil de l'analyse de l'œuvre, et même tout au long de la session. Certaines activités ainsi que certains outils théoriques sont donc proposés aux étudiants pour les aider, pour leur donner des outils d'analyse sur lesquels appuyer leurs idées, mais l'analyse se construit surtout progressivement, grâce à la discussion en équipes et aux mises en commun en grand groupe qui suivent ces discussions. En effet, [o]n ne peut imaginer que le professeur définisse seul les situations-problèmes. Sa tâche consiste à en proposer, mais en les négociant suffisamment avec les élèves pour qu’elles deviennent significatives et mobilisatrices pour beaucoup d’entre eux.[17] »

 

En aucun cas nous ne voulons imposer aux étudiants une analyse déjà construite de l'œuvre. Si nous voulons que les pistes d'analyse proposées soient signifiantes pour les étudiants, il est effectivement préférable qu'ils en soient les auteurs, dans la mesure où nous les amenons également à poser un regard critique sur l'analyse qu'ils font de l'œuvre afin d'éviter des écarts potentiels d'interprétation ou, du moins, de les minimiser. Hadassa est une œuvre accessible, qui se déroule dans un contexte que connaissent les étudiants — le Québec contemporain, dans la ville de Montréal et dans un contexte de multiculturalisme — et les enjeux qui animent le récit ne leur sont pas étrangers — la différence, l'intégration, la religion, etc. Les activités proposées visent donc à rendre ces enjeux signifiants aux yeux des étudiants afin qu’ils éprouvent le besoin d’explorer, d’analyser l’œuvre pour les résoudre.

 


BIBLIOGRAPHIE

 

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PERRENOUD, Philippe, « Des savoirs aux compétences. Les incidences sur le métier d’enseignant et sur le métier d’élève », dans Pédagogie collégiale, vol. 9, n° 2 (décembre 1995), p. 6-10.

PETITJEAN, André, « Écriture d’invention au lycée et acquisition de savoir et de savoir-faire », dans Pratiques, n°127/128 (2005), p. 75-96.

ROUXEL, Anne, « La littérature comme lieu de formation », dans Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 15-38.

30 vies, Saison 3, Épisode 53, 0:15 à 0:50, http://www.tou.tv/30-vies/S03E53 [page consultée le 15 décembre 2012].

 

 

 

 


ANNEXE I

Sélection d’articles pour le dossier de presse

1. Chassidim focus of young Quebec novelist[18]

Staff Reporter

Myriam Beaudoin knew nothing about Jews, let alone Chassidim, when she was hired as a French teacher at a chassidic girls’ school in Outremont, fresh out of McGill University’s creative writing program. The next four years would be an eye-opener for the young Sherbrooke native and be the inspiration for her novel Hadassa (Leméac), which has been both a critical and popular success in Quebec since it appeared in August. The reaction seems to indicate a growing appetite among francophones to know more about the Chassidim, as much as appreciation of Beaudoin’s precocious writing talent.

Despite the vast cultural differences between herself and the community she worked for, Beaudoin, now 30, has much affection and admiration for the Chassidim because of their devotion to their faith and traditions and to family. While lifting the veil from this world, Beaudoin does so respectfully and without judgment. It was all a shock at first for her – as it is for the young francophone teacher in Hadassa, which is written in the first person – to be on the inside of such an insular society with its innumerable restrictions, taboos and suspicions. Teaching French is like teaching a bizarre foreign tongue to them. Beaudoin was, after all, very typical of her generation of secular and free-thinking Québécoises. It’s no coincidence the narrator’s name is the same as Lewis Carroll’s protagonist, Alice, because Beaudoin did, indeed, feel as if she had entered a wonderland.

The children are raised to not be on too familiar terms with the non-Jewish teachers, who are given a long list of topics not to broach. Banned are not only religion and popular culture, but just about everything from historical events happening more than 6,000 years ago to the current news, and from reproduction to death. How shielded are they from concepts not deemed appropriate? One day Alice asks, “Que veut dire le mot liberté?” A student responds: “C’est une statue, madame.” They never question why their books come censored, with forbidden words and images blacked out. But children are children, and little by little confidence is established between Alice and her charges over the course of a year. ‘Alice’ is as awestruck as Beaudoin was when she entered her classroom of 11- and 12-year-olds, who are on the verge of their pre-ordained lives of early marriage and childbearing. The title character, Hadassa, is a moody, but strangely appealing, girl in the class who, against the odds, forms a strong bond with her non-Jewish teacher.

A parallel story running through the novel is the impossible attraction between a married chassidic woman and a non-Jewish Polish immigrant, a concert pianist working in a neighbourhood grocery.  She says this element is purely a figment of her imagination. She wanted to explore what might happened to such star-crossed lovers, convinced, as she is, that all women have the same emotions, despite the strictures they may be under.

Beaudoin began her adventure with an openness of spirit that came from having been exposed to a variety of peoples from an early age. She spent her childhood on a farm, but that idyllic world ended when her father, a diplomat, was posted to Rwanda in 1988 and, in 1991, to Mali.  In 1994, she returned to Canada to study at the University of Ottawa, and later Valladolid University in Spain. She taught English in Brazil for a while, then came back to complete a master’s degree at McGill. She ended up at a chassidic school quite by chance, after seeing an ad. The work suited her because a teaching diploma was not required and the hours were not long.

She published her first, apparently autobiographical, novel, Un petit bruit sec, in 2003. Today, she teaches French in a very different milieu – the private Catholic girls’ school Villa Maria.

Beaudoin said in an interview her previous lack of knowledge of Jews is not unusual among francophones of her age, even those who grew up in Montreal. The only Jews most know are the Chassidim because they are so visible. 

There is a lot of curiosity about the Chassidim who live in their midst, but also frustration because outsiders cannot talk to them or get to know them personally, despite their proximity, she said. 

The result is a great deal of ignorance, which she believes is at the root of the tensions that flare from time to time between the Outremont Chassidim and the public. She also thinks the media has overplayed some of these incidents, such as the matter of the Park Avenue YMCA agreeing to frost its windows so nearby yeshiva boys could not see the women exercising inside.

 

Although she was never invited to a chassidic home, Beaudoin feels honoured that she was invited to a wedding once. She says she left the school – which she declined to identify – on excellent terms, and has, in fact, been asked to return each year since she left.

Earlier this year, another fictional account, Lekhaim! Chroniques de la vie hassidique à Montréal, written under a pseudonym by a chassidic woman, was a surprise bestseller. Beaudoin said many who read that book are now reading hers. She was surprised to find no literary treatment of the Montreal Chassidim in French or English literature previous to these two books, while European writers have mined the subject quite a bit. The closest may be Yves Theriault’s 1950s novel Aaron, which deals with a mainstream Orthodox Jewish immigrant family.

Hadassa has received favourable reviews in L’Actualite, Voir, La Presse and Le Devoir and other media. Danielle Laurin wrote in Le Devoir: “Her openness is contagious: we are curious, we want to understand…  “At a time when the Jews are having a bad press, following the conflict in Lebanon, Hadassa offers an enlightening look, critical but not accusatory, at a community we know poorly.”

Hadassa is one of five finalists for the Prix des collégiens du Québec and one of 12 books shortlisted for the Prix des libraires du Québec. Beaudoin is scheduled to speak at the Blue Metropolis literary festival in April, which may make her better known to anglophones. Three Canadian publishers are interested in translating the book into English, and a German publisher has also made inquiries, she said.

 

2. Les Hassidim de MONTRÉAL[19]

[****]

Hadassa de Myriam Beaudoin aborde un sujet pointu d’autant plus que le raid d’Israël au Liban en 2006 a soulevé l’indignation des observateurs de la scène internationale.  Avec délicatesse, l’auteure pénètre le monde des Hassidim de Montréal, des juifs fervents qui attirent l’attention des goyim (non-juifs) par leur accoutrement.  C’est à l’ombre des arbres centenaires d’Outremont qu’ils appliquent scrupuleusement les lois de la Torah, décriées récemment par les médias qui s’offusquaient que leurs écoles allaient à l’encontre des normes du ministère de l’Éducation.  On embauche quand même des non-juives pour faire apprendre le français aux jeunes du primaire uniquement.  Après douze ans, on enseigne aux filles à devenir des épouses modèles. 

C’est dans ce contexte que l’héroïne rend compte de son travail d’enseignante obligée de se vêtir en excluant « les blouses sans manches, les jupes au-dessus du genou, les pantalons, les tissus qui brillent, les coupes ajustées ».  Sans compter les consignes formelles qui lui interdisent de discuter en classe de l’amour, des médias, des films, des chanteurs…  En s’adaptant à cette communauté repliée sur elle-même comme les amiches, elle réussit à se faire aimer de ses élèves, en particulier d’Hadassa. Ce roman raconte l’histoire de leur amitié, interdite par la religion. Apparaît également en croisé l’aventure d’une femme mariée à un homme choisi, selon les normes hassidiques, par la communauté.  Son cœur palpite quand elle rencontre un immigrant polonais qui occupe l’emploi de commis dans une épicerie.  Rencontre fortuite qui se poursuit dans une ruelle.  Somme toute, on sent que le choc culturel peut s’amenuiser, surtout si l’on considère l’intérêt des élèves pour les livres apportés par leur institutrice de la bibliothèque publique où elles ne peuvent aller. 

En alternant le je et le il, l’auteure conjugue amour et amitié sans provoquer les susceptibilités.  Dans une écriture hachurée à l’instar des paroles des chansons rap, elle décrit, avec une économie de mots et beaucoup d’objectivité, le hassidisme au féminin comme Éliette Abécassis l’avait fait dans La Répudiée.

 

3. L’AUTRE MONDE DE MYRIAM BEAUDOIN[20]

Fascinée par la différence, la jeune romancière nous offre une incursion sensible dans l’univers clos de la communauté juive hassidique.

C’est l’un des romans les plus réussis de l’automne. Une œuvre qui se démarque par la finesse des sentiments, l’observation aiguë d’un monde qui nous paraît totalement inaccessible et par une écriture franche, visuelle, hypersensible. Comme dans Lekhaïm!, de Zipora Malka, parût plus tôt cette année, Hadassa nous fait voir, à travers le trou de la serrure, un peu de cette autre réalité qui demande à être apprivoisée lentement.

Mais Hadassa de Myriam Beaudoin, c’est surtout deux histoires d’amour impossible qui évoluent en parallèle. La relation d’une fillette de 11 ans avec son institutrice, d’abord, à laquelle se superpose un lent et subtil rapprochement amoureux entre un immigré polonais et une femme juive dans le Mile-End d’aujourd’hui.

Mais sans moraliser, sans le désir pédagogique d’établir des ponts entre les cultures ou d’exposer ses idées sur la question.« Je voulais surtout partager… Parce que c’est d’abord ça, écrire, pour moi », explique la jeune femme attablée à une table du café Olimpico, angle Waverly et Saint-Viateur, à l’heure où se prépare le shabbat dans les rues environnantes. Un vendredi après-midi dans le Mile-End, à la lisière d’Outremont.

Fascinée par la différence

À l’origine d’Hadassa, une expérience personnelle. Pendant quatre ans, Myriam Beaudoin a été institutrice au primaire dans une école de filles de la communauté hassidique d’Outremont (un mouvement religieux juif-orthodoxe fondé au XVIIIe siècle en Europe de l’Est). Elle y a fait la rencontre de celle qui lui a inspiré le personnage d’Hadassa à qui, dans les faits, elle a enseigné durant trois ans. Une enfant un peu boudeuse, paresseuse, rêveuse, plus ou moins souffre-douleur de la classe, bouleversante dans son refus de faire sa bat-mitzva et de quitter à jamais l’enfance. Une fillette attachante avec laquelle elle a su développer une relation particulière.

 « J’ai tout de suite commencé à prendre des notes dans la classe », raconte l’écrivaine qui enseigne aujourd’hui le français à Villa-Maria, un collège privé catholique pour filles de l’ouest de la ville. Dialogues, petits secrets, rapprochements. « Ça ne se fait pas en une semaine, c’est une relation qui s’est créée, qui s’alimente, qui s’enrichit… Et peu à peu, il y a un commerce qui s’installe dans la classe. Elles me racontent des secrets sur les rites, sur les fêtes, sur leur vie familiale, etc. » Comme on le voit dans le roman. « En échange, je leur donne de la lecture, je leur permets d’entrer dans un monde littéraire auquel elles n’ont pas accès. Je leur raconte les émissions de télé pour enfants. »

 À force de marcher dans le quartier, de se « bourrer les yeux » de leurs mamans, de leurs petites sœurs, de leurs costumes. « Je suis devenue totalement obsédée par le monde des femmes de cette communauté, raconte-t-elle en parlant à toute vitesse. Par les perruques, les manteaux, les robes, les bijoux, la bonneterie. Le monde des hommes m’était  parfaitement inconnu et je ne pouvais pas y entrer. Mais avec les femmes, à l’école, j’avais quand même des contacts avec les mères. »

 C’est plus tard seulement qu’elle s’est mise à lire sur le sujet. « Quand je me suis dit que j’allais faire un roman. Lorsque j’ai compris que j’avais trop de choses, trop de bijoux, trop de notes extraordinaires. » « C’était moi l’étrangère dans cette école-là, reconnaît Myriam Beaudoin, et j’ai trouvé ça formidable. J’ai beaucoup, beaucoup voyagé dans ma vie, j’aime être dépaysée, j’aime regarder. » D’abord intriguée par cet univers, c’est la fascination qui a rapidement pris le relais.

 Un romantique qui s’assume

Une fascination pour l’importance que ces gens-là accordent aux fêtes, semblant vivre de shabbat à shabbat dans une attente perpétuelle. « L’attente, pour moi, c’est quelque chose de merveilleux, et je trouve que dans leur culture c’est très présent. » Mais les inégalités, la condition des femmes? « Moi, ce que je vois d’abord, ce sont des femmes qui sont amoureuses de leurs enfants, de leur famille, de leurs fêtes et de leurs rites. Des femmes souriantes et fières de leurs dix enfants! J’ai trouvé ça vraiment magnifique… » Pour le reste, notamment pour ce qui relève de la sexualité, l’écrivaine avoue ne pas comprendre. « Mais c’est une autre question, tranche-t-elle. J’avais simplement envie d’entrer dans ce monde-là. » En observatrice, sans juger, pour se l’approprier et se fondre dans ses personnages.

L’histoire de Jan et Déborah? « C’est un rêve », admet tout de suite Myriam Beaudoin, en souriant, encore sous l’effet de cette histoire qu’elle a pris plaisir à inventer. Possible ou impossible, cette histoire d’amour esquissée entre une jeune femme de la communauté hassidique et un épicier de la rue Saint-Viateur? « J’ai connu des femmes qui ont quitté la communauté parce qu’elles ne s’entendaient plus avec leur mari… »

Jan et Déborah, pour Myriam Beaudoin, c’est un éloge de la lenteur, du désir, de l’attente, d’une manière romantique de faire les choses qui se perd dans notre culture où tout va trop vite, explique cette lectrice avide des grands auteurs du XIXe siècle. Mais cette histoire, elle la voit aussi comme une porte de sortie imaginaire, en quelque sorte, pour la petite Hadassa. « Ça me permettrait de me dire que si jamais ça ne va pas, un jour, elle pourra faire son bout de chemin… » Chose certaine, c’est la partie du roman qu’elle a préféré écrire. « Et pour le prochain roman, je m’en vais vers la fiction complète. Vers la liberté… »

 

4. WEST SIDE STORY[21]

Myriam Beaudoin signe Hadassa, une deuxième oeuvre nous entraînant avec sensibilité dans l'univers parallèle de nos voisins d'Outremont: les juifs hassidiques.

Nous sommes en septembre, c'est le premier jour de classe. Vous êtes engagée pour enseigner le français dans une institution pour jeunes filles juives orthodoxes. Vous inscrivez votre nom au tableau, puis, parce que vous ne savez "encore rien sur rien", vous leur demandez de raconter leurs vacances. Chacune se lève, se nomme, précise son âge et s'exécute. À la suite du récit de Chaya Weber, presque douze ans, revenue de Val-Morin où elle s'est baignée — "mais pas avec les garçons, non, madame, il y a des heures pour les boys" —, Nechama Frank, douze ans et demi, se lève brusquement: "Toi, madame, tu te baignes avec les garçons?"

Le ton est donné. Alice, Madame Alice, la narratrice, deviendra petit à petit leur rayon de soleil mystérieux. La petite "classe au fond lilas" est le temple de toutes les curiosités, de tous les secrets, là où, entre une leçon de français, de mathématique, de géographie ou d'histoire (Alice devra s'improviser enseignante multi-matières), les écolières se risquent à révéler, dans un franglais parsemé de yiddish, "les secrets des juifs", des informations et détails sur leur vie quotidienne et leurs traditions. C'est ainsi qu'à l'instar d'Alice, digne, réservée, mais toujours friande de ces révélations, nous pénétrons pas à pas, un peu plus à chaque page, dans cette complexe et fascinante micro-société, ses fêtes, ses coutumes, ses multiples interdits, sa symbolique, son extrême pudeur et, surtout, l'humanité des gens qui la composent.

Et au centre de tout ça, il y a cette petite étoile brouillonne, boudeuse, mélancolique, timide, secouée de "moodswings", comme autant de bourrasques: il y a Hadassa, une élève feignant souvent la maladie pour rentrer chez elle, dessinant avec deux ou trois crayons dans sa main, répondant "c'est une statue, madame" en réponse à la question "Que veut dire le mot LIBERTÉ?". Hadassa, la préférée d'Alice, sans véritable amie, qui ne cesse de parler de la "french teacher" à la maison, qui l'a clairement "in her heart". Et nous aussi, on ne peut faire autrement que de se prendre d'affection pour cette Alice, douce, patiente, ainsi que pour cette petite solitude de onze ans et des poussières de qui on se rapprochera au fil du récit.

Parallèle à la nouvelle vie de la narratrice, qui s'échafaude de découvertes en émois, bourgeonne une histoire d'amour clandestine, illégitime. Celle de Jan, un pianiste polonais installé dans le Mile End depuis peu, maintenant épicier à la Boutique, et de Déborah, jeune juive hassidique mariée. Premier contact dans l'épicerie, un jeu de regards: "(...) tout persiste dans l'instant des yeux qui se contemplent"; on assiste alors à "la naissance de deux insomnies". Pour une juive, parler à un goyim, un non-juif, ou même le regarder, est un profond péché. Mais voilà, même si cela est "(...) instinctif, inconcevable, pire que tout", cette chose appelée désir, faute de mieux, ne pourra que se déployer, à sa manière, tailler une brèche presque invisible dans cette frontière séparant l'est de l'ouest, deux êtres soumis au vertige du visage, de la voix, de la présence de l'autre.

D'abord remarquée avec raison par la critique avec un récit publié en 2003 chez Triptyque, Un petit bruit secMyriam Beaudoin consolide et confirme ici sa manière, une prose incarnée, aussi sobre que généreuse. Sans jamais tomber dans le piège du manichéisme ou du jugement de valeur, elle nous offre une écriture toute en demi-teintes reposant sur la suggestion, l'ellipse, plutôt que sur la recherche appuyée de l'effet. En définitive, un roman de haute teneur, habile, fluide et bouleversant qui, à travers ce double parcours initiatique au coeur de la judaïté, nous remet en contact avec la matière brute des sentiments et la dignité sans nom d'être autre. Derech erets!

 

5. SECRETS ET INTERDITS[22]

 Retenez bien son nom, vous le reverrez : Myriam Beaudoin. Née à Sherbrooke, en 1976. Un père diplomate, une enfance passionnée au Rwanda et au Mali. Des études de lettres françaises et de langue espagnole. Un premier roman il y a trois ans, fort, surprenant. Un deuxième roman qui sort à l’instant, où explose le talent.

 La mort du père. Et le deuil impossible. Avec en toile de fond l’enfance africaine. C’est ce qu’elle racontait, sur la pointe des pieds, avec une langue épurée, dans Un petit bruit sec. Pour son second roman « Hadassa » (Leméac), sorte de docu-fiction qui témoigne d’un sens de l’observation et d’une sensibilité remarquables, l’écrivaine s’est inspirée de son expérience d’enseignante de français dans une école juive orthodoxe.

 Une jeune femme libre, qui a grandi en Afrique, vit sur le Plateau et vient de terminer une maîtrise en lettres, s’improvise institutrice. Elle s’appelle Alice et, comme l’héroïne de Lewis Carroll, va traverser de l’autre côté du miroir. Sa classe : un groupe de petites filles hassidiques d’Outremont. Elles ont onze, douze ans, et, devant elles, « les six cent treize commandements de la Torah ».

 Premier jour de classe. « J’étais vêtue selon les normes du contrat qui excluaient les blouses sans manches, les jupes au-dessus du genou, les pantalons, les tissus qui brillent, les coupes ajustées ».

 Du jour au lendemain, Alice bascule dans un autre monde. Elle s’interroge. Comment percer le mur des différences, des apparences? Comment approcher la culture et la religion de l’autre? Comment atteindre l’autre sans le blesser, sans le juger, avec respect, avec amour?

 La tâche ne sera pas facile. Longue, longue la liste des interdits. « Les consignes étaient formelles, il était interdit aux professeures chrétiennes engagées par le gouvernement de discuter en classe de la passion, de la reproduction, des médias, d’actualité, des programmes télévisés, des croyances religieuses, des films et des chanteurs, de la violence ou du drame, de la mort, et de tout événement historique ou scientifique qui date de plus de six mille ans ».

 Une année durant, nous allons suivre Alice pénétrer dans sa classe, dans sa tête, dans ses tripes. Et découvrir avec elle, au compte-gouttes, « les secrets des juifs ». Par l’intermédiaire de ses élèves, qui entremêlent des mots d’anglais, de français et de yiddish. Astuce suprême, puisque tout nous est livré dans la spontanéité, la naïveté de l’enfance. Avec une saveur irrésistible.

 Ainsi :  « We hate dogs because they bite jews. » « Oui, les goyim, les hommes non juifs, ils kidnappent les enfants comme nous. Ma mère l’a dit, c’est pourquoi on se promène jamais seule ». «  Les non-juifs ne peuvent pas toucher aux juifs, surtout pas avec les mains. » « Madame, nous on doit donner aux bébés le nom de ceux qui sont morts déjà. » « Les garçons deviennent Bar Mitzva quand ils fêtent treize ans et les filles quand on devient douze ». Etc.

 Alice va de surprise en surprise. Mais jamais ne juge. L’affection, l’attachement pour les filles prennent le dessus. Impossible cependant de ne pas comparer sa vie à la leur, de ne pas demeurer perplexe face à l’avenir qui attend ses protégées. « Dès l’automne suivant, dans l’étage supérieur, les fillettes recevraient la formation nécessaire à une future épouse, un savoir axé sur les rudiments de correspondance, de comptabilité commerciale, et, surtout, un enseignement pratique des tâches familiales ».

 Alice imagine sans peine la suite. À 16 ou 17 ans, on les retirerait de l’école, la famille leur choisirait un mari et « elles passeraient leur vie dans le quartier d’arbres bicentenaires et de résidences aux briques rouges ». Exactement comme leurs mères avant elles…

 Exactement comme cette belle et mystérieuse jeune femme juive, mariée mais sans enfant – la honte —, aperçue un jour par Alice dans l’épicerie d’un ami et qu’elle croisera à nouveau sur son chemin, par le biais de ses élèves.

 Un peu à la manière du savoureux Nikolski de Nicolas Dickner, encensé par la critique et couronné de prix la saison dernière, Hadassa entremêle plusieurs destins, entrecroise les vies de personnages qui n’ont en apparence rien en commun mais sont appelés à se rencontrer.

 La force de l’auteure consiste à pénétrer avec grâce dans l’univers de chacun. Sans trop en dire. Ou plutôt, en disant beaucoup avec peu de mots. On se tient avec elle sur le fil du rasoir, on observe. Son ouverture est contagieuse : on est curieux, on veut comprendre.

 Et on veut savoir : que va-t-il se passer ensuite? Car parallèlement au récit d’Alice à la première personne, prend forme une autre narration, une autre histoire. Histoire d’amour impossible entre la jeune juive aperçue à l’épicerie… et un jeune Polonais fraîchement débarqué à Montréal, un pianiste de concert, qui gagne sa vie… comme épicier.

 Les amis du jeune Polonais l’ont pourtant mis en garde :  « Ces femmes-là ne s’intéressent pas à nous, pas plus à toi, c’est un univers fermé, tu ne pourras jamais avoir de contact avec elle. Ces juifs-là restent entre eux, ils se marient entre eux, ils veulent garder les traditions, ils gardent leur nom, leur argent […]. Avant vingt ans, les filles sont mariées avec des juifs, et puis c’est tout, il n’y a pas d’exception, il n’y a pas de mélange. » Et bien sûr, aucun divorce n’est envisageable.

 À moins que… Suspens. Jeu périlleux de chassés-croisés marqués d’interdits, qui donnent lieu à des pages sublimes d’émotion contenue. En alternance, allers-retours dans la classe d’Alice, où peu à peu les liens entre elle et ses élèves se tissent, malgré les différences qui subsistent.

 À l’heure où les juifs ont mauvaise presse, dans la foulée du conflit au Liban, Hadassa propose un regard éclairant, critique mais pas accusateur, sur une communauté qu’on connaît mal. On voit les choses de l’intérieur, à travers les yeux d’une intruse qui s’avoue impuissante à changer quoi que ce soit.

 Au- delà du pur bonheur de lecture que nous offre Myriam Beaudoin, il y a ça. « Je jouissais d’une proximité avec une communauté pour tous inaccessible », fait remarquer l’héroïne du roman. Pourquoi ne pas en profiter?

 

 

 

ANNEXE II

Extrait des Lettres chinoises[23]

Me voilà à l’aéroport de Vancouver. Il me faut prendre un avion canadien pour continuer mon trajet. En attendant l’heure du départ, je veux te redire, Sassa, ma souffrance de te quitter. Quand je suis monté dans l’avion, tu souriais. […] Mais ton sourire muet, intelligent et moqueur m’a troublé. Il est imprimé dans ma mémoire et engendrera des douleurs qui m’accompagneront désormais sur le nouveau chemin de ma vie. Est-ce bien ça que tu voulais, hein?

Il est inutile de te donner des explications. Tu peux tout comprendre et tout supporter sauf cela. Ainsi, tu trouves normal que j’abandonne une terre qui m’a nourri, pauvrement, pendant une vingtaine d’années, pour un autre bout du monde inconnu. Tu m’as même dit que tu apprécies en moi cette espèce d’instinct vagabond. Mais tu ne veux pas croire que c’est en quittant ce pays que j’apprends à le mieux aimer. Le mot « aimer », tu le trouveras peut-être trop fort. Pourtant, je pourrais dire que c’est aujourd’hui, bien plus qu’à d’autres moments de ma vie, que je ressens un profond besoin de reconnaître mon appartenance à mon pays. C’est important d’avoir un pays quand on voyage. Un jour, tu comprendras tout cela : quand tu présentes ton passeport à une dame aux lèvres serrées, quand tu te retrouves parmi des gens dont tu ignores jusqu’à la langue, et surtout quand on te demande tout le temps de quel pays tu viens. Pour pouvoir vivre dans un monde civilisé, il faut s’identifier, c’est cela.

Yuan,

de Vancouver

 

Lorsque l’avion est arrivé tard hier soir au-dessus de Montréal, j’ai eu un étourdissement. C’était à cause des lumières. De splendides lumières de l’Amérique du Nord. Des lumières qu’on ne trouve pas chez nous. Je me croyais tombé dans un monde irréel. J’avais les yeux éblouis et le souffle oppressé, Sassa ; tout comme quand, un soir d’été devant l’entrée du collège à Shanghai, tu m’avais regardé en face et souri pour la première fois.

La ville était couverte d’une épaisse neige de janvier. Mais je sentais une chaleur monter très haut, monter jusqu’à envelopper doucement l’avion.

            Dans la salle d’attente, il m’a fallu quelques minutes pour comprendre le fonctionnement d’un téléphone automatique. Un monsieur passait devant moi d’un pas pressé. Je lui ai demandé de m’échanger de la monnaie. Il s’est arrêté, un sourire aux lèvres, a sorti de sa poche une poignée de monnaie et l’a mise dans ma main en disant :

-       Bonne chance.

J’ai murmuré un merci et l’ai regardé disparaître. On ne dit pas bonne chance à n’importe qui. Il y avait sûrement quelque chose en moi qui l’a poussé à me souhaiter cela. Peut-être ma coiffure, ou le style de mon manteau, ou mon air timide et indécis, ou encore mon accent? Dans cette ville étrangère, quelqu’un m’a donc souhaité bonne chance dès le premier moment.

Ta pensée m’occupe complètement et je vis dans l’espoir de te revoir très bientôt.

Yuan,

de Montréal

 

           

 

 

 

 

 

 

 



[1] Myriam Beaudoin, Hadassa, Montréal, Leméac, 2006, 196 p.

[2] Pierre Ouellet, « Le principe d’altérité », dans Pierre Ouellet et Simon Harel [dir.], Quel Autre ? L’altérité en question, Montréal, VLB Éditeur (Le soi et l’autre), 2007, p. 26.

[3] Jean-Charles Chabanne, « La lecture avant la lecture », dans Le français aujourd'hui, n° 121 (1998), p. 32.

[4] Voir Annexe I.

[5] Voir Annexe II.

[6] Ying Chen, Les lettres chinoises, Paris, Babel, 1998 (1993), 141 p.

[7] Myriam Beaudoin, op.cit., p. 13.

[8] Ibid., p. 23.

[9] Ibid., p. 32.

[10] Janet M. Paterson, « Pour une poétique du personnage de l’autre », dans Texte. Revue de critique et de théorie littéraire. L’altérité, n°23-24 (1998), p. 104-105.

[11] Janet M. Paterson, Moments postmodernes dans le roman québécois, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 1993, p. 18.

[12] 30 vies, Saison 3, Épisode 53, 0:15 à 0:50, http://www.tou.tv/30-vies/S03E53 [page consultée le 15 décembre 2012].

[13] Anne Rouxel, « La littérature comme lieu de formation », dans Enseigner la lecture littéraire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1996, p. 16.

[14] Diversité culturelle et religieuse : recherche sur les enjeux pour les femmes : synthèse, Conseil du statut de la femme, Québec, 2001, http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/bs48812, [consulté le 15 décembre 2012].

[15] André Petitjean, « Écriture d’invention au lycée et acquisition de savoir et de savoir-faire », dans Pratiques, n°127/128 (2005), p. 80.

[16] Myriam Beaudoin, op.cit., p. 188.

[17] Philippe Perrenoud, « Des savoirs aux compétences. Les incidences sur le métier d’enseignant et sur le métier d’élève », dans Pédagogie collégiale, vol. 9, n° 2 (décembre 1995), p. 6.

[18] Janice Arnold, « Chassidim focus on young Quebec novelist », dans Canadian Jewish News, 21 décembre 2006.

[19] Paul-André Proulx, « Les Hassidim de Montréal », www.litterature-quebecoise.com, [publié le 17 janvier 2007].

[20] Christian Desmeules, « L’autre monde de Myriam Beaudoin », dans Le Devoir. Cahier spécial du salon du livre de Montréal, 12 novembre 2006.

[21] Benoît Jutras, « West Side Story », dans Voir, Montréal, 12 octobre 2006.

[22] Danielle Laurin, « Secrets et interdits », dans Le Devoir, samedi 2 septembre 2006.

[23] Ying Chen, Les lettres chinoises, Paris, Babel, 1998 (1993), p. 9-12.


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