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Fahrenheit 451

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Fahrenheit 451
Bradbury, Ray
Par Anne-Catherine Gagné


Nationalité de l'auteur : Américaine
Genre : Roman
Courant : Autres
Siècle : 20e siècle
Groupe d'âge visé : Collégial
Auteur de la séquence : Anne-Catherine Gagné
Date du dépôt : Hiver 2013


 

Fahrenheit 451 : la littérature en péril

 

Pertinence de l’œuvre


Malgré les années, Fahrenheit 451, de l’auteur américain Ray Bradbury, n’a pas pris une ride. Œuvre de science-fiction presque sans science, (elle met bien en scène quelques outils technologiques, surtout communicationnels, mais ceux-ci ont peut à voir avec les apparats scientifiques du Meilleur des mondes ou avec la technologie aliénante de 1984), elle place plutôt en son centre un instrument de connaissance des plus rudimentaires : le livre. Néanmoins, le genre lui-même, associé à la paralittérature, présente un intérêt certain parce qu’il émerveille le lecteur, tout en le confrontant, à l’aide d’une réflexion sur le futur. Ce type de science-fiction s’adresse en fait à un public adulte « que l’on veut faire réfléchir tout en le distrayant » (Millet & Labbé, 2001, p. 105). Ainsi, le propos de l’œuvre de Bradbury suggère une vertigineuse mise en abyme. Elle parle  des lecteurs, des écrivains; de la littérature elle-même.

 

Problème


L’histoire du roman est relativement simple : un pompier se révolte dans une société totalitaire où les livres sont interdits par l’État et brûlés par ses collègues et lui-même. Néanmoins, l’œuvre soulève un enjeu crucial, soit le pouvoir de la littérature. Les activités proposées dans cette séquence didactique viseront à faire réaliser aux étudiants que ce ne sont pas les livres que l’on brûle, mais bien les idées qu’ils portent ainsi que les réflexions et les émotions qu’ils peuvent provoquer. La séquence s’articule autour de ce seul nœud interprétatif, mais celui-ci, pour être dénoué, appelle la contribution de nombreuses connaissances littéraires et langagières de la part des étudiants. Elle vise à répondre aux objectifs du cours « Littérature et imaginaire » (601-102-MQ) qui s’intéresse aux « représentations du monde » (MELS, 2011, p. 9), ici un monde sans liberté où la connaissance est dangereuse pour le bien commun.

 

Objectifs


  • Reconnaître et comprendre le traitement du pouvoir de la littérature dans Fahrenheit 451.
  • Cerner les grands principes de la dystopie, notamment en situant le texte dans son contexte culturel et sociohistorique.
  • Écrire, dans un français approprié, un texte de création respectant le style du roman, ainsi qu’un commentaire justificatif ou rédiger une dissertation critique, selon l’évaluation finale privilégiée.
  • Réfléchir à son propre rapport à la littérature.
  • Développer ses aptitudes à travailler en équipe.

Fonctionnement de la séquence


La séquence didactique dure environ quatre semaines. Dès la première rencontre, l’enseignant forme des équipes, constituées idéalement de quatre étudiants, qui restent inchangées au fil des semaines. Les étudiants désignent d’abord un animateur responsable du bon fonctionnement des activités en classe – concentration sur la tâche à accomplir, gestion du droit de parole si nécessaire, bonne entente, etc. – puis un secrétaire responsable de prendre en note les éléments importants qui ressortent des différentes activités. Cela ne dispense pas les autres étudiants de constituer leurs propres notes, mais de cette façon, on s’assure qu’il reste des traces de toutes les rencontres (Prégent, 1995).

 

Chaque fois que l’enseignant aborde une nouvelle partie du roman, c'est-à-dire environ une fois par semaine, il prend du temps au début du cours pour recueillir les impressions de lecture des étudiants, leurs questions, leurs déceptions, leurs manifestions d’enthousiasme. Cela permet de provoquer une confrontation des idées, des opinions et même de la compréhension de certains passages du roman. À propos de cet indispensable échange d’idées, en grand groupe ou en équipe, Jean-Charles Chabanne (2008, p. 33) souligne que

 

parce qu’elle devient sa parole dans un groupe où il ressent le besoin de tenir sa place, une lecture personnelle est contrainte de devenir savante. Parce que, pour s’imposer, elle doit rassembler des observations, généraliser, illustrer, nommer, forger des outils, des concepts. Parce que l’interaction où il veut s’engager impose au sujet de commencer à penser, penser avec, penser contre.

 

Si les éléments qu’il tient à aborder ne ressortent pas des conversations spontanées,  l’enseignant pourra lancer le débat à l’aide de questions plus spécifiques et orientées vers les activités qui suivent.

 

Dans un souci d’intégration des TIC dans son enseignement et pour offrir une plate-forme commune à tous les étudiants du groupe, l’enseignant peut créer une page de blogue sur laquelle les informations sur les activités, les échéances ainsi que les différents documents présentés en classe seraient mis en ligne. Les étudiants devraient à la fois parcourir le site en tant que lecteurs, mais ils seraient aussi appelés à devenir auteurs et à publier sur ce même site. À cet égard, il serait pertinent que l’enseignant prenne un peu de temps pour expliquer aux étudiants l’interface ainsi que les différentes sections du site. L’activité peut se faire en classe ou dans un laboratoire informatique, si celui-ci est disponible. Un exemple de ce blogue peut être observé à l’adresse suivante :http://annecatherineg.wordpress.com/


Avant la lecture


Activité 1 : La littérature et moi


Avant de plonger dans la lecture du roman, les étudiants sont invités à réfléchir à leur propre rapport à la littérature. En classe, l’enseignant pose quelques questions pour guider cette réflexion :

  • Qu’est-ce que la littérature ?
  • Quelle place occupe-t-elle dans ma vie ?
  • Quel est mon livre préféré ?
  • Qu’est-ce que la science-fiction ?

S’ensuit une discussion en groupe sur ce sujet, de façon à ce qu’il y ait un véritable partage d’opinions et de réflexions. L’objectif n’est évidemment pas d’offrir une définition figée de la littérature, phénomène complexe s’il en est, mais plutôt de réfléchir à ce qu’elle représente pour les étudiants. De plus, la question sur les attentes des étudiants par rapport au genre de la science-fiction est intéressante, car Fahrenheit 451 ne correspond pas à l’image que l’on se fait généralement du genre. En fait, le roman est non seulement vraisemblable, comme le sont généralement les œuvres de science-fiction, mais aussi presque réaliste. L’enseignant récupère ces documents, non pas pour en évaluer le contenu, mais pour qu’ils puissent être réutilisés lors d’une activité ultérieure.

 

Activité 2 : L’autodafé ou la mise à mort du livre


Au cœur de Fahrenheit 451 – température où le papier s’enflamme – se trouve l’autodafé des livres, c'est-à-dire le fait de les détruire par le feu. L’activité se déroule en grand groupe et se veut une discussion entre les étudiants et l’enseignant. Celui-ci présente des éléments utiles à la compréhension du phénomène : les principales symboliques associées au feu et quelques exemples d’autodafé, allant de la bibliothèque d’Alexandrie au pasteur américain qui menaçait de brûler des exemplaires du Coran en 2010. L’objectif est de constater que les livres sont si importants que leur destruction devient un outil d’affirmation, de provocation, voire de contrôle. L’enseignant présente aussi les types de biblioclastie déterminés par Umberto Eco (Eco, cité dans Baez, 2008, p. 27-28) : fondamentaliste, par incurie et par intérêt. Cette catégorisation sera réutilisée au cours de la séquence. Pour cette activité, l’enseignant peut utiliser le logiciel prezi. Une présentation est disponible à l’adresse suivante : http://prezi.com/-7ey0zhli6yz/autodafe/. Le caractère dynamique de la présentation, ainsi que l’intégration d’images et de vidéos (aussi disponibles sur le site du blogue) permettent de mieux saisir les différents enjeux soulevés par l’autodafé.

 

Activité 3 : L’incipit ou la première impression


La première activité reliée à l’étude du roman lui-même s’intéresse plus précisément à l’incipit. Elle vise non seulement à offrir une meilleure approche de Fahrenheit 451, mais aussi à développer les compétences en lecture des étudiants. Bien que court, l’incipit permet de découvrir l’écriture de Bradbury, une écriture foisonnante, riche en métaphores et en images fortes, presque poétiques. L’enseignant en fait une première lecture à voix haute pour que les étudiants puissent en apprécier la musicalité. Par la suite, ils procèdent, guidés par l’enseignant, à une (re)lecture plus analytique, laquelle permet aux étudiants « de repérer au fur et à mesure de leur lecture des passages, des éléments qui les aident à lire et leur serviront de plus lors de l’étude de l’œuvre […] » (Dubois & Pigeaud, 2001, p. 52). Ainsi, l’enseignant, si les étudiants ne les soulèvent pas, relève notamment les métaphores, le sourire dit permanent de Montag, qui s’estompe à peine quelques pages plus loin, le caractère impersonnel de la description du « plaisir d’incendier » (Bradbury, 1995, p. 23) et  la présence du feu, non seulement comme incendie, mais aussi comme symbole. Ce dernier aspect sera présent tout au long du roman : on parlera notamment de flamme intérieure ou d’étincelle dans le regard, de fleurs de feu, du feu du soleil, des flammes du phénix, etc. Cette première analyse du style de l’auteur sera utile lorsque les étudiants devront réaliser leur activité de création. De plus, bien que ce ne soit pas explicite dans l’incipit, l’enseignant incite les étudiants à porter attention aux divers outils technologiques présents dans le roman, puisque cela sera au cœur d’une prochaine étude.

 

Pendant la lecture


Activité 4 : La dystopie


Cette activité permet d’aborder le genre de la science-fiction, mais plus particulièrement l’une de ces manifestations qu’est la dystopie, qui imagine un futur désolant pour l’humanité. Elle s’effectue en trois étapes.

 

1) L’enseignant demande aux étudiants ce qu’ils savent de l’utopie, en explique les caractéristiques principales et donne quelques exemples (le mythe de la Tour de Babel ou l'Utopie de Thomas More, notamment). Il amène les étudiants à réaliser que Fahrenheit 451 ne correspond pas du tout à l’utopie, mais plutôt à son contraire, la dystopie. L’enseignant souligne que la dystopie littéraire s’avère « une tentative de saisir le présent à travers l’avenir ou une certaine image de l’avenir » (Millet & Labbé, 2005, p. 13) et qu’elle accentue ainsi les travers observés dans une société, constituant, à cet égard, presque un acte de dénonciation.

 

2) Préalablement au cours, les étudiants auront eu à effectuer quelques recherches sur le contexte sociohistorique de l’après-guerre aux États-Unis. Ils doivent ressortir au moins trois événements ou thèmes qui s’y rapportent, comme la crainte nucléaire, la Guerre froide, le maccarthysme, les dénonciations pour traquer l’ennemi des États-Unis, le baby-boom, le rêve américain, etc. Tout le monde tente ensuite de trouver des représentations de ces éléments dans le roman.

 

2) Les étudiants sont ensuite regroupés en équipe et doivent trouver, dans la première partie du roman, des traces des deux principales cibles de la dystopie que sont le totalitarisme et la consommation (Millet & Labbé, 2001, p.202-205). Un retour en groupe est prévu à la fin de l’activité pour mettre en commun ce que les étudiants auront trouvé : état contrôlant, livres interdits, dénonciation des propriétaires de livres, tentative d’uniformisation des hommes, crainte de l’Autre, murs écrans, publicité, etc.

 

Activité 5: Élargissons nos horizons !


En équipe, les étudiants sont placés devant un réseau de textes constitué par l’enseignant. Le recours au réseau de textes, même limité, est intéressant parce qu’il « nécessite de créer des liens [et] de se focaliser sur des savoirs transférables et non pas sur l’originalité d’un texte. » (Ledur, 1995, p. 336) Il permet ainsi de mieux comprendre le pouvoir de la littérature ainsi que son caractère symbolique dans plusieurs œuvres littéraires. Les extraits ciblés sont les suivants :

 

  • Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, p. 67-72. Les pompiers arrivent chez une femme pour incendier sa maison. L’extrait met en évidence la dénonciation par les pairs ainsi que le caractère autoritaire et institutionnel de la destruction des livres.
  • Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, p. 148-154. Les amies de Milred, la femme de Montag, sont réunies dans le salon et celui-ci décide de leur faire la lecture d’un poème. L’extrait met en évidence le caractère particulièrement émotif de la littérature.
  • Le meilleur des mondes, Aldous Huxley, p. 53-59. Des étudiants assistent à un moment crucial de l’éducation des bébés. Ceux-ci, à l’aide de décharges électriques, sont conditionnés à détester et à craindre les fleurs et les livres. Cet extrait met en évidence la dangerosité que l’on prête à la littérature ainsi que son inutilité supposée, particulièrement pour les classes inférieures.
  • Les Combustibles, Amélie Nothomb, p. 83-89. En temps de guerre, un professeur d’université et deux de ses étudiants utilisent les livres comme combustible pour combattre le froid. S’ensuit un débat sur la qualité des livres, mais surtout sur le pouvoir politique et émotif de la littérature, puisqu’il faut choisir les livres qui seront brûlés en dernier. Cet extrait met en évidence le caractère profondément humain, et humaniste, de la littérature.

Pour chacun des extraits, les étudiants doivent répondre à certaines questions, toujours les mêmes, de façon à faciliter la comparaison. Les questions sont les suivantes :

 

  • Que représente la littérature ?
    • Qui décide de détruire les livres ?
  • Pourquoi les livres sont-ils détruits ?

Activité 6 : La technologie : amie ou ennemie ?


La technologie, souvent au cœur de la science-fiction, est présente dans le roman de Bradbury : murs écrans, télévision interactive, coquillages pour les oreilles, publicité omniprésente et personnalisée, limier utilisé par les pompiers, etc. Alors que la technologie promettait le meilleur pour l’homme, cette activité permet de s'interroger sur cet apport technologique, d’abord dans le roman, puisqu’elle a remplacé les livres et la littérature, puis dans la vie des étudiants.

 

1) En guise de préparation au cours, les étudiants doivent lire un texte de Nicholas Carr (Carr, 2012) qui s’attarde à l’omniprésence des technologies de la communication dans les sociétés modernes et qui soulève les changements physiologiques et psychologiques qu’elles entraînent : diminution de la concentration, difficulté à ressentir certains sentiments comme l’empathie, fonctionnement par scénario, etc. Les étudiants doivent résumer le texte en faisant ressortir les points importants, de la manière qu’il désire, soit en texte, en points ou même en réseau de concepts, s’ils sont familiers avec cette méthode de travail.

 

2) À partir de ce texte et des observations sur la technologie dans le roman que les étudiants ont notées au fil de leur lecture, ils doivent faire ressortir au moins deux avantages et deux inconvénients de la technologie dans Fahrenheit 451, que ce soit selon certains personnages ou dans une perspective plus globale. Il est souhaitable que ressortent principalement des inconvénients que des avantages, mais il sera intéressant de constater qu’un outil technologique, comme les murs écrans, est perçu de manière positive par Milred, mais de manière négative par Montag.

 

3) Les étudiants sont invités à discuter de la présence de la technologie dans leur vie personnelle, dans la société en général, à partir de leur lecture du texte de Nicholas Carr. La perçoivent-ils comme une amie, une ennemie ou les deux ? L’objectif n’est pas d’attaquer les étudiants dans leur utilisation de la technologie, mais simplement de lancer une réflexion sur un phénomène omniprésent qui les concerne tous. Pour faire une sorte de boucle, ils sont invités à faire des parallèle avec ce qui se trouve dans le roman. Les murs-écrans correspondent-ils à quelque chose qu'ils connaissent ? La publicité ciblée ? Les coquillages ?

 

Activité 7 : Les hommes-livres, les hommes libres


Comme le fait remarquer Geneviève Falaise dans son étude du roman de Bradbury, « [aux] yeux de Montag, le livre constitue […] le lieu de l’affirmation de la liberté humaine […]. » (Falaise, 2011, p. 65) Or, très peu de personnages du roman font preuve de liberté, sinon Montag et les hommes vivant aux abords du fleuve et des chemins de fer. En groupe, l’enseignant amène les étudiants à réfléchir à la symbolique associée à cette mémorisation des livres, laquelle fait de ces hommes exclus de la société de véritables incarnations – du latin incarnatio, fait de devenir chair – de la mémoire collective.

 

Cette activité sert en quelque sorte de réponse à la toute première activité de la séquence, celle qui faisait réfléchir les étudiants à propos de leur rapport à la littérature. Advenant une disparation, accidentelle ou planifiée, des livres, les étudiants doivent choisir celui qu’ils souhaiteraient pouvoir conserver. La consigne de travail pourrait être formulée ainsi : Tous les livres sont voués à disparaître, mais vous pouvez tout de même en sauver un. Résumez brièvement le livre choisi et, surtout, expliquez ce qu’il vous apporte, ce qu’il peut apporter au monde et pourquoi, donc, il mériterait de garder sa place dans la postérité.


Si certains étudiants ont vraiment du mal à choisir un livre, ils pourraient choisir une chanson. En effet, la chanson est aussi une genre littéraire. De plus, elle est totalement absente de la société du roman de Bradbury, toute forme d'art étant interdite.


Les étudiants disposent d’une semaine pour réaliser ce travail d’environ 250 mots. Après avoir effectué les corrections suggérées par l’enseignant, ils doivent déposer leur texte sur  le site du cours, dans la section prévue à cette fin, de manière à constituer une sorte de bibliothèque d’après fin du monde que tout le monde pourra consulter.

 


Après la lecture


Activité 8 : Discours sur la littérature


Cette activité vise à comparer les différentes positions adoptées, lesquelles sont représentatives d’une idéologie, par les personnages en lien avec la littérature et la destruction des livres. Trois passages-clés du roman sont ciblés.

 

  • Le discours de Beatty sur la littérature, p. 90-103. Beatty représente l’autorité, le pouvoir. Il explique le caractère institutionnel de la disparition des livres, dans un souci de rendre les hommes égaux et de ne pas inciter à la révolte les individus et les groupes se sentant lésés par le propos d’un livre.
  • Le discours de Faber sur la littérature, p. 125-135. Faber est un idéaliste déçu, presque résigné. Il explique que bien que l’état interdise les livres, plus personne dans la population n’est de toute façon intéressé par ceux-ci. Les médias de masse ont remplacé les livres et toute production « culturelle » est vidée de son sens.
  • Le discours de Granger sur la littérature, p. 217-221. Granger incarne la figure du militant. Avec ses compatriotes, il mémorise les livres pour s’assurer que quand les choses auront changé, il reste une trace de la mémoire collective à transmettre aux générations futures.

Les étudiants, placés en équipe, doivent répondre aux questions suivantes :

 

  • Pour le personnage, la littérature est-elle une bonne ou une mauvaise chose ?
  • Selon le personnage, qu’est-ce qui a amené la destruction des livres dans la société ?
  • Comment Montag réagit-il au discours du personnage ?

Une mise en commun suit ce travail en équipe. La répétition des questions d’un extrait à l’autre permet de mieux comparer les positions et les attitudes des personnages ainsi que le rôle qu’ils occupent dans le roman. Puisque dans les trois cas, Montag est l’interlocuteur de ces discours sur la littérature, il est possible de comprendre sa posture, souvent ambivalente, devant ces opinions : soumission, résignation, révolte, etc. Cela permet aussi de suivre l’évolution de Montag, qui passe du pompier dévoué au déserteur révolutionnaire guidant les autres vers une nouvelle ère.

 

Activité 9 : La préface, comme une postface


Si la préface peut servir de porte d’entrée à une œuvre littéraire, elle servira ici de porte de sortie. Écrite par Jacques Chambon, qui assure aussi la traduction du roman, la préface de Fahrenheit 451 offre une synthèse efficace d’une grande partie des enjeux soulevés dans la séquence tout en soulignant l’actualité du roman.

 

L’enseignant s’intéressera à l’ensemble de la préface, puis plus particulièrement au passage suivant : « Car comme le dit ailleurs Bradbury, " il y a plus d’une façon de brûler un livre", l’une d’elles, peut-être la plus radicale, étant de rendre les gens incapables de lire par atrophie de tout intérêt pour la chose littéraire, paresse mentale ou simple désinformation. » (Chambon, 1995, p. 13) L’enseignant questionne les étudiants sur leur compréhension de cet extrait et sur la façon dont cela se manifeste dans la société actuelle, avec la prédominance des médias de masse, de la quasi-absence d’émissions littéraires – ou du moins de leurs faibles cotes d’écoute – et des best-sellers vendus en librairie. L’objectif n’est évidemment pas de confronter les étudiants, qui participent souvent activement à ce phénomène, mais plutôt à leur faire prendre conscience que les œuvres littéraires leur sont accessibles.

 

L’enseignant en profite pour vérifier, une dernière fois, l’appréciation du roman par les étudiants, et pour offrir des réponses aux questions qui subsisteraient avant l’évaluation.

 

Activité 10 : Évaluation


Deux choix s'offrent à l'enseignant pour l'évaluation finale, la dissertation et l'activité de création. Si c'est l'activité de création qui est choisie, il serait intéressant de la commencer en classe, afin de guider les étudiants qui auraient des questions, et de la faire compléter plus tard à la maison.

 

Dissertation


Si l’enseignant décide d’utiliser la dissertation comme outil d’évaluation, elle pourrait s’articuler autour du rôle de la littérature dans le roman, plus particulièrement autour de la notion de biblioclastie, vue au tout début de cette séquence, puisqu’elle permet de mobiliser de nombreux thèmes abordés dans le roman. Deux de ces types sont présents dans l’œuvre de Bradbury, mais à cette étape de leur parcours collégial, les étudiants n’ont pas à adopter un point de vue critique au cœur de leur dissertation. Ils devraient plutôt choisir un des deux sujets et ainsi en défendre un seul. Voici ces deux sujets : Montrez que la biblioclastie fondamentaliste est au cœur de Fahrenheit 451, de Ray Bradbury ou Montrez que la biblioclastie par incurie est au cœur de Fahrenheit 451, de Ray Bradbury. La question pourrait être reformulée si elle semble trop complexe : Montrez que, dans Fahrenheit 451, c'est une volonté institutionnelle qui entraîne la destruction des livres ou Montrez que, dans Fahrenheit 451, ce sont les citoyens eux-mêmes qui entraînent la destruction des livres. Pour un bref exemple des deux réponses, voir l'annexe I.

 

Activité de création


Bien que la dissertation soit l’outil d’évaluation le plus utilisé dans les cours de français, il en est une autre qui permet tout autant de mobiliser les compétences des étudiants quant à la compréhension, mais surtout quant à l’interprétation de l’œuvre : l’écriture d’invention. Celle-ci devient une forme de résolution de problème (Bergeron & Harvey, 1997) qui appelle à la fois les connaissances, les habiletés et les stratégies des étudiants. En accompagnement de leur texte de création, les étudiants doivent produire un commentaire justificatif qui explique leurs choix concernant le style d’écriture adopté – vocabulaire, figures de style, etc. – et leur intentionnalité, notamment en ce qui concerne l’avenir de la littérature. Ce jumelage entre écriture d’invention et commentaire justificatif facilite le développement des compétences en écriture et en lecture. En effet, puisque « le commentaire justificatif inclut une réflexion sur la façon dont l’élève a compris le fonctionnement du texte qu’on lui a donné à transformer, sur la manière dont il interprète son propre texte, il lui donne la possibilité d’objectiver ses lectures. » (Tauveron, 2005, p. 115) Ainsi, pour parvenir à construire un univers crédible et une suite qui pourrait bel et bien appartenir au roman, il importe que les étudiants aient bien cerné tout ce qui se trouve au cœur de l’œuvre, que ce soit les thèmes, les personnages ou le style d’écriture de l’auteur.

 

La fin du roman est ouverte et laisse place à l’interprétation. Après le bombardement de la ville, les hommes-livres se dirigent vers celle-ci, guidés par Montag. La science-fiction met souvent en scène un épisode de fin du monde, où du moins de la fin d’un monde. Dans le texte de Bradbury, ce n’est pas un hasard que Montag s’affaire, précisément à ce moment, à mémoriser un passage de l’Apocalypse selon Saint Jean. La science-fiction s’assure aussi le plus souvent de permettre à des survivants, sorte d’élus, de bâtir un nouveau monde. C’est précisément ce qui est demandé aux étudiants pour cette activité de création, dont la consigne pourrait s’articuler ainsi.

 

Imaginez une suite à Fahrenheit 451, dix ans après que les hommes-livres soient revenus dans la ville bombardée. Que font-ils ? Comment sont les gens autour d’eux ? Qui dirige ? Les livres sont-ils permis dans la nouvelle société mise en place ? Cette création doit compter au moins 500 mots et respecter le style de l’écriture de Ray Bradbury.


Par la suite, rédigez un commentaire justifiant vos choix d’écriture : vocabulaire, style, présence ou non de la littérature (selon que vous croyiez que la disparition des livres était préalablement causée par une biblioclastie fondamentaliste ou par incurie), etc. Ce commentaire doit compter au moins 300 mots.


En bref


Les activités proposées permettent déjà de cerner le pouvoir de la littérature au cœur de Fahrenheit 451, en plus d’offrir aux étudiants un espace de réflexion sur leur propre rapport à la littérature. En ce sens, elles répondent aux objectifs fixés au début de la séquence didactique. Cette séquence a d’abord été prévue pour le cours « Littérature et imaginaire », mais puisque le roman de Bradbury  offre un discours sur la littérature elle-même, son étude pourrait tout aussi bien pu s’inscrire dans le cours « Communication et discours » en modifiant quelques activités, et en transformant une activité écrite en présentation orale, par exemple.

 

 

 


Bibliographie

Baez, F. (2008). Histoire universelle de la destruction des livres. Paris : Fayard.

 

Bergeron, R. et Harvey, B. (1997) « Quand la production de récits devient un véritable problème à résoudre ». Dans M. Noël-Gaudreault. Didactique de la littérature. Bilan et perspectives. (p. 163-178) Québec : Nuit blanche éditeur.

 

Bradbury, R. (1995/1953). Fahrenheit 451. Paris : Gallimard.

 

Carr, N. (2012). « À propos des risques de laisser la frénésie s’emparer de notre âme ». Dans Nouveau projet, no 01, p. 74-79.

 

Chabanne, J.-C. (1998). « La lecture avant la lecture ». Dans Le français aujourd’hui, no 121, p. 28-36.

 

Chambon, J. (1995) « Préface ». Dans R. Bradbury (p. 9-16). Fahrenheit 451. Paris : Gallimard.

 

Dubois, C. et Pigeaud, N. (2001) Comment lancer la lecture d’une œuvre intégrale ? Paris, France : Bertrand-Lacoste. Pas-de-Calais : CRDP du Nord-Pas-de-Calais.

 

Falaise, G. (2011). « Fahrenheit 451, un outil pédagogique pour apprendre à réfléchir », dans Québec français, no 160, p. 64-66.

 

Huxley, A. (1970/1931). Le meilleur des mondes. Paris : Éditions Plon.

 

Ledur, D. (1996). « Lecture littéraire et enseignement professionnel : faut-il former des héritiers ? ». Dans J.-L. Dufays, L. Gemenne et D. Ledur. Pour une lecture littéraire 2. Bilans et confrontations. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve (3-5 mai 1995) (p. 328-336). Bruxelles : De Boeck & Duculot.

 

Millet, G. et Labbé, D. (2001). La science-fiction. Paris, France : Belin.

 

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011). Formation générale commune, propre et complémentaire aux programmes d’études conduisant au diplôme d’études collégiales, Québec : Gouvernement du Québec.

 

Nothomb, A. (1994). Les Combustibles. Paris : Albin-Michel.

 

Prégent, R. (1995). La préparation d’un cours. Montréal : Éditions de l’école polytechnique.

 

Tauveron, A.-M. (2005). « Le commentaire justificatif après l’écriture d’invention ou travailler la prise de distance avec son texte ». Dans Pratiques, no 127/128, p. 113-132.

 

 

Annexe I


Fondamentaliste :

 

Le roman "Fahrenheit 451" présente un univers totalitaire où les livres sont systématiquement détruits par les pompiers, les représentants de l'autorité. Non seulement les livres sont-ils détruits, mais les gens qui les possèdent sont aussi arrêtés, voire parfois tués par le limier. Notons que contrairement à certains épisodes de biblioclasties fondamentalistes dans l'Histoire, des genres ou des auteurs en particulier ne sont pas nécessairement visés par l'autodafé : tous les livres, peu importe leur sujet - histoire, philosophie, littérature - ou leur auteur sont enflammés. Les autorités veulent effacer tout ce pan de l'Histoire de l'humanité et ainsi mieux contrôler la population. Par exemple, lorsque Montag s'interroge sur le rôle qu'avaient les pompiers auparavant, Beatty lui répond que le premier pompier était Benjamin Franklin, en 1790, et que la mission avait toujours été de "tout brûler" (p. 65). Au départ, les livres qui déplaisaient à une certaine catégorie de personnes étaient les premiers visés: un ouvrage dérangeait la population noire du pays, on le brûlait, un ouvrage dénonçait un produit, tel le tabac, on le brûlait pour ne pas déplaire aux fumeurs. L'objectif est donc de contrer tout mouvement possible de révolte et ainsi de vivre dans un pays où l'ordre est au coeur des préoccupations : "Chaque homme doit être à l'image de l'autre, comme ça tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison." (p. 97) Ainsi, on pourrait dire que puisque le fait de brûler les livres est intitutionnalisé dans le pays, il s'agit d'une forme fondamentaliste de biblioclastie.

 

Par incurie


Dans le roman "Fahrenheit 451", bien que les pompiers doivent incendier tous les livres et arrêter ceux qui les possèdent, la population en général, outre quelques récalcitrants, ne semble pas du tout intéressée par la lecture, de quelque manière que ce soit. Avec les années, les nouvelles technologies ont ainsi remplacé les livres, comme les murs écrans et les coquillages. Ceux-ci diffusent des publicités ou des émissions dont le contenu est le plus souvent aseptisé, totalement neutre. Par exemple, voici l'échange qu'ont Montag et sa femme à propos d'une émission qu'elle écoute sur son mur écran : "- Moi, je trouve ça marrant, dit-elle. - De quoi ça parle ? - Je viens de te le dire. Il y a trois personnages, Bob, Ruth et Helen. - Ah bon. - C'est vraiment amusant. Et ça le sera encore plus quand on pourra s'offrir l'installation du quatrième mur." (p. 46). Ainsi, le propos de l'émission ne compte pas vraiment, mais c'est l'effet de divertissement qu'il procure qui est intéressant. Les médias de masse, comme le souligne Beatty, ont contribué au détachement des gens envers les livres. De même, lorsque Montag et Faber discutent, ce dernier présente l'élément suivant : "Les gens ont d'eux-mêmes cessé de lire. Vous autres pompiers faites votre petit numéro de cirque de temps en temps; vous réduisez les maisons en fumée et le joli brasier attire les foules, mais ce n'est là qu'un petit spectacle de foire, à peine nécessaire pour maintenir l'ordre." (p. 133). Ainsi, on pourrait dire que c'est par incurie, donc pas manque de connaissance et même d'intérêt, que les livres sont détruits.


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