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Inconnu à cette adresse

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Inconnu à cette adresse
TAYLOR, Kressmann
Par Antoine Brien


Nationalité de l'auteur : Américaine
Genre : Autres
Courant : Autres
Siècle : 20e siècle
Groupe d'âge visé : Deuxième cycle secondaire
Auteur de la séquence : Antoine Brien
Date du dépôt : Hiver 2014


L’univers des textes littéraires appelle un investissement personnel de la part du lecteur. L’élève doit être actif dans sa lecture et être motivé à dépasser sa première réaction pour s’engager lui-même et réfléchir sur le texte.[1] En optant pour des approches variées, nous visons à ce qu’il puisse mener des réflexions riches, diversifiées et complémentaires. En ce sens, les approches et les problèmes de lecture qui en découlent sont orientés vers l’élaboration d’activités itératives, favorisant le va-et-vient entre la compréhension et l’interprétation. Nous cherchons ainsi à garder un équilibre entre deux enjeux : le plaisir de la littérature et le pouvoir de lire et d’écrire. Cela suppose une appropriation personnelle et partagée du texte littéraire, et c’est d’ailleurs pour cette raison que nous donnons un rôle actif aux élèves en favorisant les discussions ouvertes et les explorations nouvelles plutôt que de les orienter vers des interprétations toutes faites. La séquence que nous proposons est organisée autour d’un récit bref et dense, tendre et machiavélique, qui saura certainement capter l’attention de ses futurs lecteurs.

 

PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE

 

L'histoire, qui débute en 1932, se construit autour d'un échange épistolaire entre un certain Martin Schulse, galeriste américain retourné dans son Allemagne natale, et Max Eisenstein, son associé et ami, resté aux États-Unis. Leur correspondance suit le cours de cette amitié lorsque, missive après missive, Eisenstein s'aperçoit que son ami, sous l'emprise de l'hitlérisme triomphant, est en train de devenir antisémite. Est-ce une feinte pour échapper à la censure ou Martin, pris dans l'engrenage national-socialiste, est-il en train de devenir un monstre? À mesure que l'on avance dans cette lecture, la tension dramatique monte, appelant un investissement personnel du lecteur. Dans cet esprit, nous misons sur la participation du lecteur pour ancrer la distanciation, et donner sens à celle-ci. Inconnu à cette adresse[2] est tout désigné pour capter l’attention du lecteur, car, comme nous l’avons déjà mentionné, la tension dramatique est présente du début à la fin de l’œuvre. À cela s’ajoute l’effet de vraisemblance propre au récit épistolaire, favorisant l’engagement des lecteurs. Cet engagement personnel sera d’autant plus important quand l’œuvre soulèvera des questionnements éthiques qui lui demanderont de dépasser sa première réaction pour réfléchir sur le texte et sur son propre réseau de valeurs. Cette séquence est d’ailleurs plus adaptée pour les élèves du second cycle. En regard à la progression des apprentissages du MELS[3], elle pourra être intégrée à l’étude de l’œuvre engagée, soit en cinquième secondaire.

 

PRÉPARATION

 

Pour entrer dans l’analyse de cette œuvre, quatre approches différentes ont été utilisées : les approches lectorale, sociohistorique, générique et institutionnelle. Toutefois, pour éviter une lecture essentiellement théorique, ces approches se retrouvent au fondement de la séquence tout en restant implicites. Par exemple, comme l’intrigue est de nature principalement psychologique, un travail sur l’évolution psychologique du personnage est susceptible de favoriser l’investissement des élèves dans la lecture.

De plus, certains outils didactiques ont une place importante dans le déroulement de cette séquence. Des affiches, un réseau de textes, mais surtout des comités de lecture[4]. Ceux-ci visent encore une fois à engager davantage l’élève dans son processus de lecture en le confrontant au fait qu’un même texte peut être porteur de plusieurs sens et que ce sens se construit en relation avec les autres.

Premièrement, il lit la partie de l’œuvre à l’étude, puis il prend des notes dans un journal. Ces notes sont en lien avec l’appréciation, la compréhension, l’interprétation ou la réaction du lecteur. Deuxièmement, il rejoint son comité de lecture (formé autant que possible d’élèves hétérogènes) où il échange avec d’autres élèves sur la lecture. L’enseignant peut orienter les discussions. Troisièmement et finalement, l’expérience d’échange vécue en sous-groupe est mise en commun. L’enseignant peut bonifier les réflexions par son expérience structurée sur le savoir littéraire.

 

 

AVANT LA LECTURE

 

Préparation à la pratique du journal de lecture et des comités de lecture

 

Objectifs :       a) Constater qu’une même œuvre peut susciter plusieurs           interprétations

                      b) Constituer un lexique pour décrire, interpréter et apprécier un œuvre

Pour cette première activité, l’enseignant apporte une œuvre en classe. Ce peut être une peinture, une photo ou autres. Le choix d’une œuvre d’art visuelle est suggéré parce que sa réception est immédiate et que les élèves peuvent justifier leur interprétation en se référant à un objet matériel (ce qui n’est pas possible avec la musique par exemple). Plus important encore est que l’œuvre soit proliférante[5], c’est-à-dire qu’elle ouvre à différentes interprétations. L’enseignant montre l’objet d’art en question aux élèves et leur donne la consigne de l’activité : écrire leurs impressions, la signification selon eux, ce qu’il trouve beau, d’autres œuvres auxquelles celle-ci leur fait penser, etc.

Les élèves se retrouvent ensuite en sous-groupe pour échanger leurs perceptions. Finalement, en plénière, l’enseignant fait ressortir les différentes interprétations, discute de leur validité avec les élèves et démontre qu’on peut recréer son interprétation en confrontant ses idées à celles des autres.

L’enseignant résume l’activité et la schématise pour que les élèves puissent se représenter la démarche[6] qui sera utilisée pendant la lecture. Collectivement, la classe construit une affiche sur l’utilisation du journal. Tous les termes qui ont été employés pour décrire, interpréter et apprécier l’œuvre sont rassemblés sur l’affiche afin que les élèves y aient recours au moment d’écrire dans leur journal.

  

Analyse du paratexte

 

Objectifs :       a) Préparer à la lecture par l’anticipation

                        b) Intéresser les lecteurs à l’œuvre

L’analyse du paratexte se fera en deux temps : l’analyse de la première de couverture, puis de la quatrième de couverture.

Pour l’étude de la première de couverture, les élèves sont accompagnés parce que cette démarche d’analyse de l’image sera réutilisée lors d’une prochaine activité. La première étape est donc une phase de dénotation. Les élèves décrivent la composition de l’image (personnages, décor, cadre, couleurs) et le texte (titre, auteur, typographie). Il passe ensuite à la seconde étape, la phase de connotation. À partir des indices observés, les élèves les interprètent et en formulent des hypothèses de lecture.

Les élèves lisent ensuite la quatrième de couverture avant de construire collectivement une deuxième affiche. L’enseignant y note ce que les élèves croient savoir et ce qu’ils souhaiteraient apprendre sur le sujet afin de les soutenir dans leur compréhension de l’œuvre. Après la lecture du roman, l’enseignant pourra reprendre l’affiche pour valider  ce qui y avait été inscrit. L’affiche pourra être complétée par ce qui aura finalement été appris.

 

PENDANT LA LECTURE

 

Lecture des lettres 1 à 3

 

L’enseignant utilise l’affiche II pour orienter la lecture sur deux aspects principaux: la liaison entre les personnages et la situation d’énonciation. Les élèves sont ensuite invités à lire les trois lettres et à écrire dans leur journal de lecture. Ils peuvent s’inspirer de l’affiche I au besoin.

 

Bien cerner les personnages

 

Une fois la lecture terminée, ils se regroupent en comité. Bien qu’ils restent libres de discuter des différents thèmes du journal, l’enseignant propose des lanceurs de réflexion sur les personnages : qu’avez-vous appris sur eux ? Quelles sont vos impressions par rapport à eux? Pendant qu’ils sont encore en comité, l’enseignant interrompt les discussions quelques instants avant de les relancer sur une tâche précise. Il demande d’abord aux élèves s’ils ont affaire à un récit narratif « ordinaire » pour expliciter le fait qu’il s’agit d’un récit épistolaire. Comme celui-ci est composé d’une correspondance entre Max et Martin, un comité sur deux doit dresser le portrait du personnage de Max tandis que les autres dressent celui de Martin. Pour accomplir cette tâche, les élèves devront chercher comment faire un portrait. Ils sont invités à s’inspirer de leurs journaux ou des discussions qu’ils ont eues en lien avec les personnages durant le comité, et à se faire confiance.

 

En plénière, l’enseignant chapeaute la mise en commun des portraits des personnages. L’objectif est de réorienter, bonifier ou conserver les différentes propositions pour construire un modèle collectif structuré (celui-ci sera réutilisé par les élèves lors d’une prochaine activité portant sur l’évolution du personnage de Martin). Pour chaque trait proposé, les élèves sont amenés à se demander s’il est explicite ou implicite. Ensuite, ils doivent indiquer le type de trait dont il s’agit (physique, psychologique, culturel, intellectuel, social, affectif). Enfin, pour les caractéristiques implicites, ils doivent ajouter l’indice qui leur a permis l’inférence (une action, une réaction, le ton employé, le champ lexical, la modalisation, etc.). L’enseignant peut faire remarquer que la prépondérance d’éléments implicites dans cette œuvre tient du fait que l’accès à l’intériorité du scripteur est une caractéristique propre à la lettre ; ce que les personnages disent d’eux-mêmes, ce qu’ils écrivent des autres et de leurs activités nous renseigne sur leur psychologie. On voit donc quelle image l’énonciateur a de lui-même et des autres.

 

Se situer dans la situation d’énonciation

 

L’enseignant utilise ensuite ce constat pour aborder la situation d’énonciation. Sur une carte du monde, on situe le lieu de chacun des personnages. La communication est différée dans l’espace et aussi dans le temps  (on devait compter un délai d’environ 15 jours entre l’envoi d’une lettre et sa réception). Il poursuit en amenant les élèves à réfléchir sur ce qui permet à l’échange de se poursuivre. Pourquoi envoie-t-on une lettre? Que fait-on si on souhaite être répondu? En répondant à ces questions, on constate que la lettre peut avoir différentes visées et que c’est un discours toujours tourné vers l’autre. Cela étant constaté, le plus important est de remarquer ce qui dans ce récit guide l’échange. Ainsi, les élèves sont amenés à retourner dans les lettres pour constater que Griselle est la principale raison de cet échange épistolaire. Collectivement, le portrait de ce troisième personnage est alors dressé et les liens entre ces trois personnages sont schématisés. Enfin, dans leur journal, les élèves doivent écrire leur anticipation de l’intrigue.

 

Lecture des lettres 4 à 7

 

Avant la lecture de ces lettres, un retour est effectué sur la fin de la dernière section, soit sur l’anticipation de l’intrigue. Les différentes hypothèses sont mises en commun, ce qui devrait donner lieu à une discussion. Celle-ci devrait tourner autour de Griselle ou autour du nazisme (la lettre se termine sur cette question : quel est cet Adolf Hitler qui semble en voie d’accéder au pouvoir en Allemagne?). Peut-être sauront-ils établir un lien entre les deux.

 

Aborder le changement idéologique chez Martin

 

Les élèves sont ensuite invités à lire les quatre lettres et à écrire dans leur journal de lecture. Une fois la lecture terminée, ils se regroupent en comité. Pour orienter les discussions sur l’évolution psychologique de Martin et sur les changements dans la situation politique, l’enseignant leur fait faire une courte activité. Il leur distribue une feuille sur laquelle a été relevées les nombreuses comparaisons et métaphores employées par Martin dans la lettre 4. Les élèves doivent indiquer ce qu’ils en comprennent en écrivant ce qu’il croit être la signification. Les élèves pourront ensuite relever eux-mêmes les comparaisons et les métaphores dans la lettre 6 et en discuter les significations au sein de leur comité. Ces figures de style  donnent beaucoup d’information sur la façon dont Martin pense, sur ce en quoi il croit. Si cela n’a pas été soulevé par les élèves, l’enseignant partage l’impression de slogan que crée cette surutilisation de comparaisons et de métaphores et, comme ils le verront plus loin, qu’une des stratégies de propagande a été de marteler les foules avec des slogans simplistes.

 

 

Interpréter l’évolution psychologique de Martin

 

Malgré que la lettre 6 laisse paraître que Martin adhère véritablement à l’idéologie nazie, le lecteur peut, légitimement, encore en douter. Comme Max le lui demande explicitement à la fin de la lettre 7, Martin écrit-il cette lettre par réelle adhésion au mouvement ou plutôt par peur de la censure? Ce questionnement est tout désigné pour donner lieu à un problème de lecture. Ce travail d’interprétation demande de retourner en arrière pour comparer le portrait dressé dans la section 1 avec les lettres 4 et 6. Cela donnera lieu à un débat interprétatif lors duquel les idées des élèves ne seront pas orientées par l’enseignant. Ce n’est que lors du retour en plénière que l’enseignant interviendra pour bonifier ou réorienter les interprétations.

 

Acquérir quelques références sociohistoriques

 

Pour ce retour en plénière, le principal objectif est d’ancrer les mutations politiques et sociales qui agitent le pays dans cette réflexion sur la métamorphose de Martin. Ainsi, l’enseignant cherche à rendre significative l’étude de la montée du nazisme (il pourra faire des liens avec ce qui aura été dit par les élèves durant le débat interprétatif pour expliciter cet ancrage dans la lecture). Les élèves visionneront la deuxième partie du documentaire Apocalypse-Hitler[7] avec une grille d’écoute. Celle-ci vise à rehausser l’écoute active. Ensuite, en remplissant un tableau mettant en parallèle la chronologie d’évènements marquants de la montée du nazisme avec la chronologie des lettres échangées dans le récit[8], les élèves seront à même de constater que les ellipses ont du sens puisque l’œuvre ne prend toute son ampleur qu’à la lumière des évènements qui ont marqué l’Allemagne des années 1930.

 

 

Dossier propagande

 

Nous croyons pertinent de cibler la propagande comme thème central de cette séquence. L’œuvre nous paraît être un outil essentiel pour la formation critique et pour la réflexion des élèves sur leur propre réseau de valeurs. Durant l’étude de la montée du nazisme, les élèves auront vu brièvement que Joseph Goebbels a rempli un rôle très important dans ce mouvement politique puisqu’il était responsable du ministère du Reich à l'Éducation du peuple et à la Propagande. Grâce au culte du chef, au contrôle des médias, à la censure et à l’usage de la violence, ce gouvernement est passé d’un état démocratique à un état totalitaire, et a réussi à faire adhérer des masses à leur idéologie. Le dossier Propagande regroupe des images d’œuvres d’art allemandes et d’œuvres d’art « dégénérées »[9]. Un travail d’analyse de l’image (voir la section sur l’étude du paratexte par la dénotation et la connotation) cherchera à comparer les idées qui sont prônées avec les idées censurées. Cela devrait mener à une réflexion sur la manipulation délibérée de la population par le gouvernement.

Ensuite, la classe lira ensemble et à voix haute une pièce de théâtre d’Eugène Ionesco, Rhinocéros[10]. Cette œuvre a été choisie pour faire réfléchir les élèves sur le fait que le contrôle des masses se fait non seulement par une propagande orchestrée par une poignée de politiciens, mais aussi par le phénomène d’idéologie dominante au cœur même de la population.  

 

 

Lecture des lettres 8 à 11

Griselle au cœur de l’intrigue

 

La lecture de la lettre 8 marque une rupture dans l’amitié des correspondants et répond aux hypothèses des lecteurs. Martin avait bel et bien écrit sa lettre par réelle adhésion au mouvement et non par peur de la censure. L’attention est alors portée sur les lettres 9 à 11 que Max continue d’écrire par obligation; il demande à Martin de venir en aide à sa sœur qui a décidé de se rendre à Berlin malgré les hostilités qui y ont cours envers les juifs. Ces lettres sont hautement argumentatives, elles cherchent à convaincre Martin d’agir, et les arguments seront relevés lors d’une activité de la prochaine section. Lorsqu’ils se retrouvent en comité après la lecture, les élèves discutent de leurs réactions, mais devront aussi discuter de l’effet qu’a eu la monopolisation de la parole par Max : comme Martin ne réécrit pas, il ne répond pas, on sent l’impuissance de Max et le suspense de l’intrigue qui augmente à propos de Griselle. Toujours en comité, les élèves devront retracer le parcours de Griselle.

 

Écriture d’une lettre

 

Les élèves doivent accomplir une tâche d’écriture : rédiger une lettre à l’intention de Max de la part de Griselle. Ils auront à tenir compte du portrait fait lors de la première section, du contexte sociohistorique et d’un enchainement logique des évènements. Une grille d’évaluation sera élaborée avec les élèves de sorte qu’une synthèse des codes[11] de la lettre vus jusqu’à ce moment soit faite.

 

Lecture de la lettre 12

Le procès de Martin 

 

La lettre 12, bien qu’elle ait pu être anticipée par certains lecteurs perspicaces, est choquante en ce sens qu’elle montre l’apogée de la métamorphose de Martin. Dans le but d’amener les élèves à réfléchir sur la question de la responsabilité, nous proposons ici de faire un procès au personnage de Martin. La classe est divisée en trois groupes : les avocats de la couronne, les avocats de la défense et les membres du jury. Ce procès est en fait un débat interprétatif déguisé. Plusieurs arguments peuvent être trouvés dans les lettres de Martin ou de Max. Aussi, les réflexions menées lors du dossier Propagande peuvent être  réinvesties.

  

Lecture des lettres 13 à 16

Démystifier la rupture narrative

 

L’attention est d’abord portée sur la rupture narrative. Les lettres 13 à 16 sont mystérieuses et paraissent incompréhensibles si elles sont prises au premier niveau. Or, nous proposons de laisser les élèves tenter de démystifier ces lettres lors de leur lecture et de leur discussion en comité. Les différentes hypothèses seront ensuite mises en commun et un travail sera spécifiquement fait sur deux codes de la lettre afin d'accompagner leur réflexion : l’ouverture avec l’indication du destinataire ainsi que la clôture avec la formule de politesse ou d’adieu et la signature. Le but est cette fois de les amener vers un constat « prévu » par l’enseignant puisqu’il s’agit moins d’un problème d’interprétation que d’un problème de compréhension. En remplissant un tableau comparatif des ouvertures, des clôtures, des adresses d’envoi et des adresses de réceptions, les élèves chercheront la signification des changements qui ont eu lieu depuis la toute première jusqu’à la seizième lettre.  Par exemple, en observant les adresses, on constate que Max n’envoie plus les lettres à la banque (stratégie qu’ils utilisaient pour éviter les nouvelles censures), mais directement chez Martin. On comprend ainsi qu’il cherche à être censuré et qu’à la double énonciation s’ajoute un troisième destinataire, la Gestapo. Autre exemple, la familiarité des formules d’adresse et d’ouverture crée une impression de grande proximité entre le destinataire et le destinateur. Celui-ci signe pour la première fois Eisenstein, non typiquement juif. On comprend alors que l’auteur de la lettre vise à ce que la Gestapo associe Martin aux juifs.

 

Lecture des lettres 17 à 20

 

Un faux code

 

La lecture de la lettre 17 répond aux hypothèses du lecteur. « Ce télégramme fou, ces lettres que tu m’as envoyées … Rien de tout cela ne m’est parvenu directement, mais on m’a convoqué : ils me les ont montrés et m’ont sommé de m’expliquer; ils exigent que je leur donne le code. Quel code ? »

Martin a peur pour sa vie et supplie Max de cesser ses envois, mais Max persiste. Les élèves sont donc amenés à travailler sur ce qui, dans ces lettres, donne l’impression d’un code. Ils devront pousser leurs réflexions plus loin que l'impression d’invraisemblance des lettres. L’activité devrait porter sur la connotation de certains termes, c’est-à-dire qu’ils devront interpréter des termes comme « cargaison », « communication internationale », « livraison » en rapport avec les effets potentiels sur les censeurs.

 

La vengeance

 

La marque du tampon « Inconnu à cette adresse » indique finalement que la vengeance de Max a été accomplie. Bien que pour beaucoup de lecteurs cette vengeance puisse être une satisfaction, pour d’autres, ce geste le déshumanise. Il sera donc intéressant de lancer une discussion sur cette question afin que les élèves confrontent leurs opinions, leurs valeurs ou leurs sentiments en cette fin de lecture.

 

APRÈS LA LECTURE

 

Contexte de publication

 

Dans la préparation à la lecture, aucune, ou très peu d’informations ont été données à propos de l’auteur et du contexte de publication. Dans cette séquence, il est plus stratégique que cette partie de l’étude soit placée après la lecture. Le livre a été publié en 1938 dans le journal américain Story Magazine. 1938, c'est-à-dire en pleine ascension guerrière d'Adolf Hitler. Sa parution n'a pas changé le cours de l'Histoire, mais elle cherchait entre autres à éveiller les consciences de ses contemporains sur la montée du nazisme. Comme les élèves seront probablement surpris de l’actualité du sujet à sa parution, le temps sera propice pour amener les élèves à réfléchir sur les avantages et les intérêts d’un récit par lettres. Par exemple, l’effet de réel qui crée un sentiment d’urgence et la polyphonie qui permet de prendre un point de vue externe et un point de vue interne sur un même évènement (la montée du nazisme).

 

Art engagé

 

L’art engagé est alors introduit de façon générale avant d’être approfondi lors de l’activité qui suit. L’enseignant fait jouer de la musique allemande (non censuré par les nazis), du Wagner par exemple, et les élèves doivent déambuler dans la classe selon ce que la musique leur inspire. Le même exercice est refait, mais cette fois avec de la musique swing. L’expérience vécue individuellement est mise en commun dans le but de comparer les mouvements inspirés par la musique allemande et ceux inspirés par la musique swing. Les premiers sont somme toute plus solennels, plus disciplinés, tandis que les seconds sont plus festifs, plus libres. Ils visionnent  ensuite le film Swing Kid de Thomas Carter[12], dans lequel des jeunes se rebellent par le biais de la musique swing dans le même contexte d’avant-guerre que l’œuvre lue. L’objectif est de mener une réflexion sur l’art engagé dans la lutte contre le totalitarisme. Par la comparaison de l’action de Peter Müller à la fin du film Swing kids avec la publication d’Inconnu à cette adresse, ils constateront entre autres que l’art peut être engagé de façon directe par la dénonciation ou bien l’être de façon indirecte en véhiculant de façon intrinsèque des valeurs comme la liberté.

 

Clore sur le développement de l’esprit critique

 

Enfin, le film swing kids met en scène des jeunes du même âge que les élèves. Au départ, tout le petit groupe se rebelle contre le régime hitlérien, mais lorsque les membres devront s’enrôler dans les jeunesses hitlériennes et ainsi être plongés au cœur du mécanisme de la propagande, certains ne résisteront pas. L’éducation est en fait un enjeu clé pour la manipulation ou pour la libération des masses. Acquérir la liberté de pensée, c’est d’abord cultiver son esprit critique.



[1] Giasson, J. (2003) « La lecture de la théorie à la pratique » Boucherville : Gaëtan Morin Éditeur. 312.

[2] Taylor, Kressmann, (2012). « Inconnu à cette adresse  ». Paris : Éditions Flammarion.

[3] Ministère de l’éducation des loisirs et du sport. (2011). « Progression des apprentissages au secondaire, Français, langue d’enseignement ». 

[4] Lebrun, M. (2010) « La classe de français et de littérature ». Bruxelles : E.M.E.

[5] Tauveron, Catherine. (1999). « Comprendre et interpréter le littéraire à l’école ». Repères. 19.

[6] Elle a été présentée dans la section « préparation »

[7] Clarke, Isabelle et Costelle, Danielle. (2011) « Apocalypse-Hitler » France 2, 55 min.

[8] Un tel tableau est présent dans cet ouvrage : Taylor, Kressmann, (2012). « Inconnu à cette adresse  ». Paris : Éditions Flammarion

[9] On peut trouver ces documents dans cet ouvrage : Clavel, F. et Joubaire, C. (2012). « Cahier photo » Dans Inconnu à cette adresse, Flammarion.

[10] Ionesco, E. (1959). « Rhinocéros » Paris : Éditions Gallimard.

[11] Lopez-Dem, G. « Dossier annexe : les caractéristiques du genre épistolaire ». http://lettres.ac-aix-marseille.fr/college/lectecr/inconnu.html

[12] Carter, Thomas. (1993) « Swing kids ». Etats-Unis. 100 min.


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