Introduction

         Le français enseigné au collégial constitue le point d’ancrage d’une formation citoyenne de qualité. Si cette discipline permet d’améliorer les capacités langagières des étudiants, elle permet également d’ouvrir leurs horizons intellectuels en les familiarisant avec des manifestations culturelles qui dépassent nos frontières francophones. À ce titre, il nous apparait fort intéressant de mettre nos étudiants en contact avec l’une des œuvres les plus marquantes de Franz Kafka : La Métamorphose.

La Métamorphose est une nouvelle littéraire publiée en 1915. Elle repose sur l’univers chamboulé d’un foyer de Prague à la suite de la transformation soudaine et inexplicable de Gregor Samsa, fils ainé et pourvoyeur de la famille. Le personnage principal prendra ainsi les traits d’un énorme cancrelat, mais conservera les capacités intellectuelles d’un humain. D’abord objet de dégout et de peur, Samsa verra sa famille organiser leur nouvelle vie en fonction de sa métamorphose. Le père retournera occuper un emploi rémunéré tandis que l’on laissera à la disposition de la créature une chambre et de la nourriture. Cette chambre deviendra cependant une prison, la présence de Gregor n’étant souhaitée nulle part ailleurs dans la maisonnée. D’abord horrifiés puis compatissants, le père, la mère et la sœur du personnage principal en viendront à éprouver une profonde aversion à son égard, et la famille souhaitera la disparition du monstre, disparition qui les soulagerait tous d’un lourd poids financier et social. Physiquement blessé et affamé, Gregor Samsa expirera donc, se demandant une dernière fois ce qu’il adviendra de lui.  

1. Les visées de formation en regard des programmes

1.1 Situation de la séquence dans le programme d’études

L’objet de la discipline Français, langue d’enseignement et littérature se résume à la nécessité de favoriser le développement de l’imagination, de la sensibilité et des connaissances littéraires et culturelles, et visent également à améliorer la maitrise de la langue de l’étudiant[1]. La séquence que nous élaborons répond à ces impératifs de la manière suivante : le contexte réaliste du récit, combiné à l’aspect monstrueux du héros risquent fort de rompre l’horizon d’attente de la plupart des étudiants, habitués à la fréquentation de récits soit purement réalistes, soit fantastiques ou merveilleux, mais rarement à ce genre de zone de cohabitation des registres. La sensibilité des lecteurs sera interpelée par la déshumanisation opérée chez le héros et la finesse des portraits psychologiques des personnages que l’auteur met en scène.

Nous situons cette séquence dans l’ensemble 2, Écriture et imaginaire, puisque les étudiants doivent reconnaitre le traitement d’un thème dans un texte[2], ce qui sera prétexte à les mettre en contact avec un thème récurrent de la littérature du XXe siècle : l’aliénation. De plus, cet ensemble prévoit que l’étudiant « [d]égage les rapports entre le réel, le langage et l’imaginaire[3] ». Or, La Métamorphose, comme l’indique son titre, transforme la perception quotidienne de certains aspects du réel en présentant la déshumanisation d’un homme ordinaire par le truchement de l’allégorie.

Nous considérons que cette nouvelle devrait être étudiée en fin de la session, puisque l’acquisition des savoirs et des compétences dont il sera question incessamment requièrent quelques prérequis de la part des étudiants. En effet, ceux-ci devront déjà être en mesure d’identifier le type de narrateur, ou du moins savoir en identifier le point de vue, et devront préférablement déjà avoir été familiarisés avec le champ littéraire, puisque cette séquence sera l’occasion pour eux de colliger des éléments du récit portant sur l’aliénation. Ils pourront ainsi y recourir afin de compléter leur évaluation formative, laquelle prendra la forme d’un plan de dissertation explicative. Cependant, le champ lexical sera révisé avant que les étudiants ne le mettent en pratique dans l’analyse de La Métamorphose.

1.2 Compétences à développer

Comme il en a été mention en amont, dans le cadre de cette séquence, les étudiants devront reconnaitre le traitement d’un thème dans le texte. Il s’agira ici pour eux de saisir en quoi La Métamorphose s’élabore à partir du thème de l’aliénation. Ils auront également pour tâche de dégager les rapports entre le réel, le langage et l’imaginaire, en sorte qu’ils devront définir en quoi ce récit, de par sa poétisation de la condition déshumanisante de Gregor Samsa, sert à rendre au réel toute sa saveur significative.

1.3 Objectifs généraux et spécifiques

Les objectifs généraux se résument à : 1) susciter l’horizon d’attente des étudiants; 2) donner à voir aux étudiants qu’un texte littéraire problématise notre rapport au réel.

En cristallisant ce qui distingue une nouvelle d’un roman chez les étudiants, nous parviendrons à éveiller leur horizon d’attente, puisque l’ « identification, même partielle et lacunaire, des ancrages génériques d’une œuvre constitue un préalable indispensable à sa lecture[4] ». Au terme de cette séquence, les étudiants ne sauront sans doute pas précisément ce qu’est une problématique et encore moins comment problématiser une œuvre, mais ils auront pris conscience qu’une œuvre, et surtout cette œuvre en particulier, remet en question notre rapport au réel et à la fiction, puisque Kafka met en scène un élément surnaturel dans un univers qui se veut réaliste afin d’imager un aspect inquiétant de l’existence humaine.

Ces objectifs généraux devront se réaliser à travers l’atteinte de compétences spécifiques : 1) nommer certaines caractéristiques de l’allégorie; 2) repérer les éléments qui relèvent d’une vision du monde particulière; 3) donner une définition de l’aliénation.

Notre première compétence spécifique se penche sur la question de l’allégorie. Les étudiants de l’ensemble 2 n’ont qu’une conception ambigüe et imparfaite de l’allégorie, qui est pourtant une image qui transcende leur paysage culturel et social. La métamorphose de Gregor Samsa en cancrelat est la représentation concrète de sa condition humaine. La comparaison de différentes formes allégoriques telles que la statue de la Justice ou une pancarte de signalisation pourra contribuer à expliciter aux étudiants cette relation de l’abstrait au concret que remplit cette figure de style. La deuxième compétence concourt à ce que les étudiants sachent « identifier les caractéristiques propres à différents types de récit[5]. » Faire en sorte que les étudiants puissent décrire le phénomène d’aliénation trouve toute sa pertinence dans le fait qu’il s’agit d’un thème très présent dans la littérature du XXe siècle, notamment dans les écrits qui succédèrent au traumatisme des deux Guerres Mondiales. Selon M. Otten, d’ailleurs, le lecteur doit disposer « de codes culturels étendus : symboles, figures et récits mythologiques, clichés littéraires, allusions littéraires, topoï et autres lieux communs[6] ».

2. Choix de l’œuvre intégrale

2.1 Justification du choix de l’œuvre

La Métamorphose nous semble être une œuvre particulièrement intéressante à aborder dans le cadre d’un cours de niveau 102 au collégial. Comme ce texte appartient au genre de la nouvelle, son analyse permettra de considérer les caractéristiques propres à ce genre littéraire[7]. Les thématiques de l’aliénation et de la répudiation présentes dans l’œuvre permettront également aux élèves de se familiariser avec les différentes formes de représentation du monde.

La Métamorphose est par ailleurs une œuvre ayant marqué l’histoire de la littérature. Célèbre notamment pour Le procès et Le château, Kafka figure parmi les auteurs incontournables du XXe siècle, et la nouvelle que nous étudierons compte parmi les rares textes qu’il ait publiés de son vivant. En vertu de ses thématiques, La Métamorphose pousse à la réflexion et permet de saisir différents enjeux sociaux, tout en permettant de comprendre le monde à travers une œuvre artistique.

Ce récit nous semble ainsi être adapté à un jeune lectorat, grâce à sa concision et sa portée sociale et philosophique. Selon notre expérience, des descriptions brèves, une économie textuelle et un style dépouillé sont des caractéristiques qui plaisent aux jeunes adultes, ou ont à tout le moins le mérite de les apprivoiser.

2.2 Présentation et pertinence des problématiques

La lecture de l’œuvre à l’étude pose de nombreux problèmes de lecture. La nouvelle de Kafka est complexe, et il est possible d’interpréter ce texte de bien des manières. Nous avons soulevé deux problématiques qui nous semblent fort pertinentes. La première relève de la compréhension de la psychologie du personnage principal et questionne son rapport à lui-même et son rapport au monde : Gregor Samsa est-il un être aliéné? La seconde problématique se penche quant à elle sur l’intrusion de l’irréel dans l’œuvre et de ses conséquences. Gregor Samsa semble se transformer dans la nouvelle en un énorme cancrelat, mais cette métamorphose est-elle d’ordre fantastique ou allégorique?

A – Gregor Samsa est-il un être aliéné?

Il nous parait fort pertinent de proposer cette problématique, puisqu’elle aborde de front la question des sentiments et de la psychologie du personnage principal de la nouvelle de Kafka. Gregor Samsa subit de l’ostracisassions de la part de sa famille, mais on peut se demander s’il subit un processus de dépossession de soi, qui est l’essence de l’aliénation philosophique[8].

B - La Métamorphose est-elle une œuvre fantastique ou allégorique?

Si La Métamorphose met en scène l’intrusion d’éléments irréels au sein du monde tel que nous le connaissons, cette intrusion ne permet pas de qualifier l’œuvre de Kafka de « fantastique ». Pour Tzvetan Todorov, le fantastique relève du moment d’hésitation entre deux hypothèses : les évènements cadrent avec les lois de la nature telles que nous les connaissons, ou n’y cadrent pas. Dès qu’une réponse est apportée à cette question, le texte quitte le domaine du fantastique pour devenir « étrange » ou « merveilleux »[9]. Les caractéristiques propres à la nouvelle de Kafka portent à réflexion : si les évènements qui affligent Samsa semblent relever du fantastique, il appert qu’ils sont en fait le résultat d’un jeu esthétique qui met en scène l’allégorie.  

3. Les savoirs de référence et les savoirs transposés

Savoirs de référence 1

Nous appuierons notre séquence didactique sur la thématique de l’aliénation. Philippe Forest et Gérard Conio proposent dans le Dictionnaire fondamental du français littéraire une définition de ce qu’est l’aliénation et soulignent l’importance de la perte de propriété et d’identité qui découlent de ce terme :

De même qu’une chose aliénée, c'est-à-dire cédée à autrui, ne m’appartient plus, de même une personne « aliénée » est dépossédée d’elle-même, qu’elle soit réduite à un état de servitude au sens philosophique et politique, ou habitée par une autre personnalité que la sienne propre, au sens médical et psychologique[10].

Aborder cette problématique en classe nous semble judicieux, puisque le personnage principal de La Métamorphose nous apparaît être une personne aliénée, et qu’il est nécessaire pour bien comprendre la nouvelle de Kafka d’être au fait du concept d’aliénation. 

Savoirs transposés 1

Il est important de vulgariser adéquatement les savoirs de référence afin que notre auditoire puisse bien comprendre les concepts et théories enseignés. Cette manière de synthétiser la connaissance est d’autant plus importante lorsque l’on s’adresse à des étudiants du collégial. Résumer les notions sur l’aliénation ne suffit donc pas; il est primordial d’adapter les savoirs à l’auditoire, et donc de les vulgariser. Cet exercice permet de transmettre des savoirs que l’on qualifiera de « transposés ».

Il nous appert qu’une manière efficace de vulgariser le concept d’aliénation est de l’expliquer à l’aide d’exemples simples et puisés au sein des connaissances culturelles des élèves. Il sera à ce titre intéressant de souligner l’étymologie du mot aliénation, tiré d’alius qui signifie « autre »[11]. Il sera à ce titre intéressant de mentionner que le terme alien est utilisé au cinéma pour désigner un extraterrestre, et plus précisément la race extraterrestre que l’on retrouve dans la franchise Alien. Ces créatures imaginées par Hans Ruedi Giger[12] portent ainsi un nom qui fait référence à l’ « autre ». Nous pourrons également souligner que le titre du premier opus traduit en français est L’étranger : le huitième passager. Nous pourrons ainsi expliquer aux élèves à l’aide de cet exemple que l’aliénation fait de l’humain un étranger à lui-même, de la même manière que la créature de l’espace inventée par Giger est étrangère aux humains qu’elle attaque.

Savoirs de référence 2

L’allégorie est définie comme une « figure de style consistant à personnifier une abstraction[13] ». Elle est brillamment utilisée par Kafka dans La Métamorphose afin d’illustrer concrètement l’aliénation du personnage de Gregor Samsa, sa condition humaine dénaturée et son exclusion progressive et fatale du cercle familial. L’allégorie est un concept intéressant à enseigner en ensemble 2, puisqu’il s’agit d’une figure de style universelle qui se retrouve non seulement dans des produits culturels, mais aussi dans une panoplie de représentations symboliques qui tapissent notre environnement social.

Il s’agit d’une image certes un peu plus complexe que la métaphore, mais sa propre nature en fait un concept facile à exemplifier, puisqu’elle se veut elle-même un outil de vulgarisation concrète des abstractions de notre univers. Il sera donc aisé de l’illustrer à l’aide d’éléments sélectionnés à même l’environnement des étudiants, par exemple la célèbre faucheuse munie d’une faux, symbole de la mort qui vient chercher sur terre ses victimes.

Savoirs transposés 2

Comme l’allégorie est une figure de style, il convient d’abord de définir avec les étudiants ce qu’ils entendent par figure de style, de manière à déconstruire les conceptions erronées et de construire avec eux une représentation plus sensée de ce concept. Ils seront ainsi mieux aptes à saisir la nature du savoir qui leur est proposé d’assimiler.

Puisque l’allégorie est une figure de style qui s’apparente au symbole, il serait ensuite avisé de montrer aux étudiants une série de symboles présents dans leur paysage quotidien, telle la faucheuse présente sur les albums du célèbre groupe Children of Bodom. De cette manière, les étudiants seront facilement à même de comprendre le rapport qui unit un concept abstrait à sa représentation concrète.

Nous entendons également présenter un extrait du film Le Procès d’Orson Welles afin de fournir aux étudiants un accès concret à l’univers cauchemardesque, mais également afin d’offrir un exemple d’allégorie, où l’aliénation prend la forme d’un système bureaucratique insondable plutôt que celle d’une coquerelle. Cette partie cinéma serait complétée par le visionnement du film Ennemi, de Denis Villeneuve, qui permettrait d’effectuer un parallèle intéressant entre l’allégorie de la coquerelle, présente chez Kafka, et celle de l’araignée symbolisant la maternité étouffante chez Villeneuve. À la suite de chaque projection, les étudiants seraient invités à discuter en plénière de la nature de l’aliénation qu’ils auront étudiée à travers le prisme de l’allégorie présente dans chaque œuvre, ce qui alimentera non seulement leur conception de l’aliénation, mais leur fournira des références intéressantes à inclure dans le plan de dissertation explicative qu’ils auront à élaborer au terme de la séquence.

4. Présentation de la séquence

4.1 Justification de la progression générale de la séquence

Nous débuterons par un retour sur la lecture de La Métamorphose. Comme les élèves auront préalablement lu l’œuvre, nous pourrons discuter en plénière des différentes premières impressions que la lecture aura procurées aux élèves. Nous poursuivrons par la présentation du portrait de l’auteur et du contexte sociohistorique. Il nous apparaît souhaitable d’aborder cette question dès la première séance de cours, afin que les élèves puissent non seulement situer et contextualiser l’œuvre de Kafka, mais également mieux saisir le complexe du personnage principal aliéné par son apparence monstrueuse et par sa famille. Cette séquence comportera 7 séances de 50 minutes et une de 100 minutes.

Nous présenterons par la suite le concept d’aliénation à l’aide d’exemples illustratifs. Nous estimons qu’il est préférable d’aborder cette problématique avant d’expliquer l’allégorie, puisque le concept d’aliénation constitue le thème central de l’œuvre et que l’idée d’aliénation permet de mieux comprendre ce qu’est l’allégorie dans l’exemple qui nous intéresse. Il est également important d’expliquer ce qu’est l’aliénation avant de demander aux élèves de relever les éléments lexicaux qui s’y rattachent. Cette collecte d’éléments permettra aux étudiants de mieux comprendre la psychologie du personnage principal, ce qui les aidera lors de l’activité d’écriture d’invention qui surviendra lors de la séance suivante. Cette écriture d’invention prendra la forme d’une lettre que Gregor Samsa aurait pu adresser à son père. Cette activité vise à ce que les élèves puissent intérioriser l’aliénation particulière que subit Samsa. Suite à cette activité, les élèves se réuniront en petites équipes et compareront leurs interprétations. Ces discussions en équipes permettront de mieux outiller les élèves avant que nous ne demandions à la classe de se réunir en plénière et d’échanger en grand groupe leurs interprétations.

Nous aborderons par la suite l’allégorie. Nous présenterons à cet effet un cours magistral dans lequel il sera question de la définition de l’allégorie à l’aide d’exemples iconographiques présents dans l’environnement social des étudiants. Ce n’est qu’après avoir vu l’allégorie que nous présenterons des extraits vidéos de deux œuvres cinématographiques que sont Le Procès d’Orson Welles et Ennemi de Denis Villeneuve. L’extrait du Procès nous permettra d’aborder la question de l’aliénation et de comparer son traitement dans deux œuvres de Kafka. Le visionnage d’un extrait d’Ennemi permettra quant à lui de montrer aux étudiants de quelle manière l’allégorie peut être traitée au cinéma. Cela permettra également de comparer la figure allégorique de l’araignée présente dans le film de Villeneuve et la figure allégorique du cafard présente dans La Métamorphose.

Nous terminerons notre séquence didactique par une évaluation formative. Cette évaluation prendra la forme d’un plan de dissertation explicative. Les étudiants devront lors de cet exercice démontrer que Gregor Samsa est un être aliéné, et pourront utiliser les connaissances et compétences acquises durant la séquence didactique en utilisant le champ lexical de l’aliénation, tel qu’expérimenté à la séance 2. Ils pourront également s’appuyer sur les œuvres cinématographiques vues en classe afin d’étayer leurs arguments.

4.2 Présentation synthétique du déroulement de la séquence

4.3 Prolongements possibles

Dans le cadre d’une approche culturelle, nous pourrions intégrer à notre enseignement différentes manifestations culturelles et artistiques. Nous nous attarderons lors de la séquence didactique à la question de l’allégorie et à celle de l’aliénation, et il serait fort intéressant de traiter de ces thèmes en nous penchant sur des extraits vidéos du film Ennemi de Denis Villeneuve et du film Le procès du réalisateur Orson Welles. Nous amènerons donc les élèves à réfléchir aux liens que l’on peut faire entre le traitement de l’allégorie que l’on retrouve dans La Métamorphose et dans Ennemi. Nous chercherons également à soulever quelles sont les différentes manières de traiter de l’allégorie selon le médium utilisé. Quant au thème de l’aliénation, il sera mis en lumière à l’aide de la comparaison entre ses différentes manifestations que l’on retrouve dans Le Procès et dans La Métamorphose.

Il sera intéressant de comparer Le Procès et La Métamorphose, puisque ce sont deux œuvres écrites de la main de Kafka. L’aliénation n’y est cependant pas présentée de la même manière. Le Procès plonge le lecteur dans un univers bureaucratique et aliénant, alors que l’aliénation dans La Métamorphose oppose un homme à sa famille, et se traduit par une transformation allégorique. La question de cette transformation nous permettra d’introduire le second extrait vidéo présenté aux élèves. 

Les liens présents entre La Métamorphose et Ennemi sont ainsi fort intéressants. Nous présenterons aux élèves deux œuvres dans lesquelles l’humain est représenté sous la forme d’un invertébré. Le cafard chez Kafka et l’araignée chez Villeneuve entrent en dialogue par le biais de l’aliénation des protagonistes. Figure de la maternité et de l’emprisonnement chez Villeneuve, l’arachnide d’Ennemi peut ainsi être comparé au cafard de Kafka, figure de l’être repoussant et abject exclu par la société et par les siens.

Le visionnage de l’extrait vidéo du Procès se déroulera lors de la septième séance de notre séquence et sera d’une durée de 30 minutes. Suite à la présentation d’une partie du film de Welles, nous discuterons pendant 20 minutes avec les élèves de l’aliénation que vit Joseph K., et de la différence du traitement de cette thématique en fonction du médium utilisé. L’extrait d’Ennemi sera présenté lors de la huitième séance et durera 30 minutes. Nous discuterons ensuite en plénière du traitement de l’allégorie au cinéma comme en littérature, et de leurs manifestations différentes selon que l’on se retrouve devant une œuvre couchée sur papier ou sur pellicule.

L’approche culturelle que nous privilégierons s’inscrit dans les visées et objets de la formation générale en français au collégial. La présentation de notre séquence didactique permettra donc « […] de stimuler l’imagination, d’aiguiser la sensibilité et d’élargir les connaissances dans les domaines littéraire et culturel[14].» L’élève sera donc exposé à une œuvre marquante de la littérature internationale, œuvre dont les caractéristiques thématiques serviront à stimuler l’imagination et à aiguiser la sensibilité face à un être qui souffre et qui est mis à l’écart des autres. L’élève sera également apte à « […] saisir les enjeux sociaux par l’analyse de diverses représentations du monde […] [15]» et pourra apprécier « […] la littérature [et le cinéma] comme moyen[s] de compréhension du monde et comme manifestation esthétique[16]». À cet égard, le visionnage du Procès et de Ennemi permettra rendre compte que le cinéma, s’il utilise des mécanismes différents, permet comme la littérature de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Notons que la reconnaissance d’un thème dans un texte et que le dégagement des rapports entre le réel, le langage et l’imaginaire sont des éléments de compétence qui sont présents dans le cours Littérature et imaginaire (102), cours dans lequel s’inscrit notre séquence didactique[17].    

5. Déroulement détaillé d’une séance

6. Principales modalités d’évaluation formative et sommative

Les évaluations mises en œuvre au courant de notre séquence didactique s’articuleront autour de deux pôles. Nous procéderons à une évaluation diagnostique à la fin des séances 1 et 2 afin de constater quelles sont les connaissances et compétences acquises par les élèves. Une évaluation formative prendra place à la séance 5 ainsi qu’à la séance 8, dernière séance de la séquence.

L’évaluation diagnostique de la séance 1 nous permettra d’évaluer le degré de compréhension du texte en posant des questions aux élèves. Cette évaluation succédera à un exercice dans lequel nous recueillerons les premières impressions des étudiants suite à la lecture de La Métamorphose. Nous traiterons ainsi des conceptions préalables des élèves, et évaluerons de manière informelle leur compréhension du texte. La seconde évaluation formative se déroulera à la fin de la séance 2, et nous permettra d’évaluer la capacité des élèves à identifier les éléments qui constituent le champ lexical de l’aliénation dans un extrait de la nouvelle de Kafka.

La première évaluation formative se déroulera à la suite de la séance 5. Nous recueillerons à ce moment les lettres rédigées lors de l’activité d’écriture d’invention, et nous évaluerons la compréhension des élèves face à la relation complexe qu’entretiennent Gregor Samsa et son père. La dernière évaluation, qui sera sommative, se déroulera lors de la séance 8 et consistera en l’élaboration d’un plan de dissertation explicative. Les élèves devront ainsi concevoir un plan qui répondra à l’énoncé suivant : Montrez que Gregor Samsa est un être aliéné. Cette activité d’évaluation durera 50 minutes, et les élèves auront préalablement réalisé une collecte de données sur l’aliénation. Cette collecte aura été effectuée à la maison en colligeant des éléments pertinents présents dans la nouvelle de Kafka.

Conclusion

La planification d’une séquence didactique s’avère un exercice des plus constructifs : autant elle structure notre vision de l’enseignement de la littérature, autant elle constitue un outil efficace de conversion des savoirs de référence en savoirs à transmettre. Bien que La Métamorphose constitue une œuvre riche au plan formel, la séquence didactique nous a permis d’en identifier les savoirs les plus digestes à présenter à des étudiants du cours de Littérature 102, quitte à sacrifier certains veaux d’or, tels que la notion de fantastique dans l’œuvre ou la question du genre, qui prendraient trop de temps à aborder dans cette séquence. L’approche par thèmes nous est donc apparue la plus simple et la plus instructive, d’autant plus que les étudiants auxquels s’adresse ce cursus expérimentent pour la première fois la dissertation explicative et ne sont pas encore en mesure de problématiser un sujet. Le traitement de l’aliénation et de l’allégorie répond avec justesse aux objectifs généraux que nous nous étions fixés : susciter l’horizon d’attente des étudiants et donner à voir aux étudiants qu’un texte littéraire problématise notre rapport au réel. L’homme est défini comme aliéné dans une grande part des productions artistiques et culturelles de l’ère moderne, et l’apprivoisement de ce concept à travers l’œuvre de Kafka complexifiera le regard avec lequel les étudiants observeront leur société. L’allégorie permet quant à elle un recul critique et sensible face à l’ambigüité de l’existence humaine.

Ces thèmes respectent également les exigences ministérielles du cours de Littérature 102, qui vise entre autres la reconnaissance du traitement d’un thème dans un texte et la prise de conscience des rapports existant entre le réel, le langage et l’imaginaire. Cette séquence a été conçue de façon à ce que les étudiants établissent un lien fort entre la présence de l’allégorie du cafard et le thème de l’aliénation. Il s’agit d’une manière constructive de montrer en quoi une œuvre littéraire utilise des figures de style pour illustrer certains thèmes phares de l’existence humaine.

Bibliographie

Œuvre à l’étude

KAFKA, Franz, La métamorphose et autres récits, Paris, Gallimard, 1990, 217 p.

Ouvrages de référence

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CANVAT, Karl, « Quels savoirs pour l’enseignement de la littérature? Réflexion et propositions », dans G. Langlade et M. J. Fourtanier [dir.], Enseigner la littérature, Paris, Delagrave (CRDP Midi-Pyrénnées), 2000, p. 57-72.

FOREST, Philippe et Gérard Conio, Dictionnaire fondamental du français littéraire, Paris, Maxi-Livres, 2004, 408 pages.

LANGLADE, Gérard, « Statut des savoirs en didactique des textes littéraires et formation des enseignants », dans Gérard Langlade et M. J. Fourtanier [dir.], Enseigner la littérature,  Paris, Delagrave (CRDP Midi-Pyrénnées), 2000, p. 155-169.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Formation générale commune et complémentaire aux programmes d’études conduisant au diplôme d’études collégiales, Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2011.

TODOROV, Tzvetan, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Éditions du Seuil, 1970, 188 p.

Sites Internet

H.R. Giger Museum. Biographie. Récupéré le 8 décembre 2014 du site H. R. Giger Museum : http://www.hrgigermuseum.com/index2.php?option=bio&pg=1&act=s