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Lorsque j'étais une oeuvre d'art

Fiche descriptive
Séquence didactique
Annexes
Lorsque j'étais une oeuvre d'art
Eric Emmanuel Schmitt
Par Stéphanie Vigneau et Katherine Latulippe


Nationalité de l'auteur : Française
Genre : Roman
Courant : Postmodernité
Siècle : 21e siècle
Groupe d'âge visé : Deuxième cycle secondaire
Auteur de la séquence : Stéphanie Vigneau et Katherine Latulippe
Date du dépôt : Hiver 2017


L’enseignement de la littérature est au cœur de la discipline français (Simard et coll., 2010). Avec les élèves, il est intéressant d’étudier des œuvres qui soulèvent des problèmes de lecture afin d’amener les apprenants à adopter une posture de lecteur qui oscille entre participation et distanciation (Falardeau, 2004). Le roman Lorsque j’étais une œuvre d’art d’Eric-Emmanuel Schmitt propose une réflexion sur l’importance donnée à l’apparence physique au détriment de la beauté intérieure. Dans son œuvre, on trouve Tazio Firelli, un homme abattu par la médiocrité de sa vie qui décide de se suicider pour mettre fin à ses souffrances. Au moment de commettre son geste, Zeus Peter Lama, un artiste excentrique, lui propose de changer radicalement sa vie en 24 heures. Acceptant son offre, l’homme devient l'œuvre d’art de son sauveur et sa possession. Comblé par sa nouvelle vie, Tazio finit par se rendre compte qu’il perd son humanité et décide de reprendre le contrôle de sa vie. Ce roman, par les thèmes qu’il propose, permet d’amener les élèves à réfléchir sur des problèmes de lecture précis et à trouver une résonance entre le texte à lire et leur univers culturel (Falardeau, 2004, p. 2).  

 

Place de la séquence dans la progression

Notre séquence s’adresse à des élèves de cinquième secondaire puisque l’œuvre étudiée est un roman sociophilosophique soulevant des problèmes de lecture assez complexes pour des jeunes de ce niveau (MELS, 2011). Pour bien mener les activités proposées, les apprenants doivent avoir travaillé les types de narrateurs, la modalisation, la subjectivité et les types de points de vue.

 

Problèmes de lecture


Comment la narration au « je » permet-elle de comprendre l’évolution psychologique de Tazio ? Ce premier problème de lecture est lié à la quête d’équilibre du protagoniste. En effet, l’évolution psychologique de ce dernier peut être difficile à cerner étant donné que l’opinion que Tazio a de lui-même évolue énormément au fil de ses rencontres. En analysant la narration, les élèves pourront avoir accès aux pensées de Tazio et ainsi plus facilement comprendre pourquoi sa vision de lui-même évolue.

 

À la suite de sa transformation, Tazio est-il considéré comme un homme ou comme un objet ? Pourquoi ? Au cours de leur lecture, les élèves vont se heurter à l’ambigüité du statut du protagoniste. En effet, selon les personnages, la vision de Tazio en tant qu’objet ou qu’être humain change radicalement. En analysant la modalisation présente dans le récit et le point de vue, les élèves comprendront que Tazio n’est pas considéré de la même manière aux yeux de tous.

 

Objectifs de la séquence  

 

L’objectif général de notre séquence est de faire réfléchir philosophiquement les élèves sur l’importance accordée aux standards de beauté. Pour la compétence à Lire et apprécier des textes variés, les objectifs d’apprentissage spécifiques sont les suivants :       

-Cerner l’intrigue, soit la quête d’équilibre marquée par l’évolution psychologique de Tazio ;

-Reconnaitre la vision du monde de Tazio et sa position révélée par la modalisation des énoncés et les commentaires par rapport à son propos ;

-Reconnaitre la présence d’un narrateur « je » et son impact du point de vue de la compréhension de l’évolution psychologique de Tazio (MELS, 2011).

 Pour la compétence Écrire des textes variés, l’habileté à développer est la suivante:

-Faire appel à sa créativité en s’inspirant de ses lectures et de ses repères culturels afin de pasticher Schmitt (MELS, 2011).

 Finalement, pour la compétence Communiquer oralement, l’objectif est le suivant :

-Prendre la parole individuellement et en interaction lors de discussions philosophiques axées sur la compréhension de l’œuvre (MELS, 2004).

 

Activités d’apprentissage

Plusieurs activités d’enseignement et d’apprentissages seront mises en place avant, pendant et après la lecture du roman pour atteindre les objectifs fixés. Afin de guider les élèves pendant leur lecture, un journal comprenant toutes les activités leur est remis au début de la séquence (annexe 1). En choisissant de construire un journal de lecture comme outil, nous souhaitons « structurer l’expérience sensible, puis aider [l’élève] à opérer un retour sur le chemin parcouru, entre son interprétation spontanée initiale et son interprétation finale ou celle des autres » (Hébert, 2008, p. 65). Par ailleurs, durant toute la séquence, l’enseignant occupe une place très importante dans l’apprentissage des élèves en « questionnant, en reformulant, en émettant ses hypothèses, en pointant des passages évocateurs » (Falardeau, 2004, p. 41).

 

AVANT LA LECTURE (environ un cours)

Afin d’amener les élèves à prendre conscience de leurs connaissances sur les thèmes présents dans l’œuvre et à se servir d’indices textuels et paratextuels afin de connaitre le sujet du récit, trois activités servent de pistes d’entrée en lecture (Falardeau, 2015). La première permet à l’enseignant de connaitre les conceptions initiales des apprenants à propos du thème central au texte, soit les standards de beauté. Elle consiste à amener les élèves à répondre aux questions suivantes individuellement : quelle importance accordes-tu à la beauté ? Comment cela influence-t-il ta vie ? L’enseignant revient ensuite en plénière sur ces questions en demandant à quelques élèves de donner leurs pistes de réponses[1] (activité 1 - 20 min.). Par la suite, l’enseignant contextualise l’œuvre en présentant brièvement l’auteur. Le but est d’amener les élèves à voir que Schmitt est un écrivain philosophe et que ses œuvres, dont celle à l’étude, suivent le courant de pensée de leur auteur. Le maitre fait la lecture de la quatrième de couverture aux élèves et leur présente trois pages couvertures de l’œuvre. En équipe, les apprenants doivent faire des hypothèses : sur quoi portera le roman ? Pendant l’activité, l’enseignant doit circuler afin de s’assurer que les élèves réfléchissent plus loin que l’idée de beauté élaborée plus haut et qu'ils ne répètent pas les mêmes propos. Nous choisissons ce mode d’apprentissage puisque « travailler le paratexte, c’est familiariser les élèves avec l’objet livre, leur apprendre à créer des indices à partir des signes dont il est porteur et à mobiliser les expériences et les savoirs dont ils sont eux-mêmes détenteurs » (Langlade, 2002, p. 121 dans Falardeau, 2015). Les trois pages couvertures sont différentes ; elles permettent donc de relever diverses hypothèses. La première présente un humain sur un piédestal et révèle la notion d’objet. La deuxième présente l’image d’un homme à la manière d’Andy Warhol et permet d’amener la thématique des apparences[2]. La troisième symbolise la déshumanisation de l’homme en montrant un corps morcelé comme un objet construit à la chaine (activité 2 - 30 min.). Plusieurs questions sont proposées pour guider les élèves : est-ce une statue ou un homme qui est représenté sur la première page couverture ? La deuxième page couverture en est une à la manière d’Andy Warhol, c’est-à-dire que l’image d’un même homme est reprise dans plusieurs couleurs. Que souhaite-t-on représenter selon toi ? Dans la troisième page couverture, comment est représentée la beauté ? La dernière activité est réalisée en plénière. L’enseignant fait la lecture aux élèves des trois premières pages de l’œuvre. Le but est de relever l’état d’esprit du personnage principal au début du roman afin que tous les élèves commencent leur lecture avec les mêmes éléments. Après la lecture, l’enseignant complète avec les élèves les questions présentées dans leur journal de lecture. Ces questions sont axées sur l’état psychologique de Tazio ; elles leur permettent donc de mieux comprendre ce dernier (activité 3 - 20 min.). Bref, les trois premières activités avant la lecture sont pertinentes puisqu’elles donnent l’occasion aux élèves de créer des attentes quant au roman à lire et donc, elles alimentent leur recherche de sens (Leith, 2011).                        


PENDANT LA LECTURE

Après avoir émis différentes hypothèses et s’être interrogés sur le début du roman, les élèves commencent leur lecture. Étant donné que l’évolution psychologique du personnage principal se modifie progressivement au cours de l’œuvre, nous avons décidé de séparer la lecture en quatre parties. Ces dernières marquent le cheminement de Tazio vers son acceptation de soi. La première section (p. 1-37) présente l’état dépressif du personnage principal. La deuxième (p. 39-104) marque son passage à un certain bonheur qui sera éphémère. Dans la troisième partie (p. 104-246), un sentiment de malêtre envahit Tazio et le pousse à vouloir reprendre le contrôle de sa vie. La quatirème section (p. 247-253) représente le retour à l’équilibre et donc, à un certain bonheur. Après la lecture de chaque segment, les élèves sont amenés à réfléchir et à analyser l’évolution de l’état d’esprit du personnage principal et de sa quête d’équilibre par l’entremise de deux activités (activités 3 et 4). En obligeant les apprenants à s’arrêter après chaque section, nous les amenons à adopter une posture de lecteur qui oscille entre participation et distanciation en favorisant la réflexion (Falardeau, 2004).


Activité 4 : cerner l’évolution psychologique de Tazio (environ 35 min après chaque segment de lecture)

La première activité amène les élèves à répondre au problème de lecture suivant : comment la narration au « je » permet-elle de comprendre l’évolution psychologique de Tazio ? Pour y arriver, l’enseignant fait remarquer aux apprenants qu’en analysant la narration et la modalisation, nous pouvons avoir accès aux pensées de Tazio et ainsi plus facilement comprendre pourquoi sa vision de lui-même évolue. Après chaque section lue, les élèves doivent ressortir des extraits qui permettent de comprendre l’état d’esprit de Tazio à travers sa narration. Les apprenants doivent être capables de reconnaitre ou de choisir les mots qui révèlent la subjectivité du personnage principal et qui permettent de comprendre ses changements de mentalité (MELS, 2011, p. 67). À la fin du premier segment de lecture, nous proposons à l’enseignant de réaliser le travail avec les élèves afin de les guider : 

 

 

Segments

Extraits relevés/marques de modalité surlignés Comment se sent le personnage ? Est-ce que son état d’âme est le même qu’au segment précédent ? Où en est-il par rapport à sa réflexion sur les apparences ? Pistes de questions pour guider les élèves
Segment 1 (p. 1 à 37) « J’ai honte de moi. Incapable d’entrer dans la vie et pas fichu d’en sortir, je me suis inutile, je ne me dois rien » (p. 5).« J’ai toujours tout raté, pour être exact : ma vie comme mes suicides » (p. 5).« Je bondis aux toilettes et m’étudiai dans la glace. J’y aperçus un étranger. Un inconnu complet […] Ce jour-là, dans le miroir piqué au-dessus des lavabos moisis, je découvrais un visage fade sur un corps fade, un physique si dépourvu d’intérêt, de traits saillants ou de caractère que j’en éprouvai moi-même, sur-le-champ, de l’ennui. Le sentiment de ma médiocrité m’envahit comme une révélation » (p. 21) Tazio est complètement exténué, il veut tout simplement mourir. Il ne se sent incapable de rien, il a honte de lui-même.  Est-ce que Tazio a un but dans la vie ? Quelle relation entretient-il avec ses frères ? Pourquoi ?

 

 

Les apprenants pourront ensuite repérer eux-mêmes les extraits qui révèlent l’état psychologique de Tazio pour les autres segments de lecture. Nous pensons que « ce travail d’analyse sur des extraits devra se faire en équipe, pour que les élèves discutent de leurs hypothèses de lecture, réfutent les pistes qu’ils croient erronées, expliquent leur point de vue, demandent des précisions, etc. » (Falardeau, 2004, p. 41). Après l’analyse de chaque segment, l’enseignant fait une synthèse en grand groupe pour s’assurer que tous les apprenants reprennent leur lecture avec les mêmes informations. En appuyant leurs interprétations de l’évolution psychologique de Tazio par des extraits textuels, les élèves montrent que leurs impressions sur cette dernière découlent bien du roman à l’étude (Leith, 2011). Pour guider les apprenants dans leur tâche, les enseignants peuvent leur proposer plusieurs questions :

 

Segments Extraits relevés/marques de modalité surlignés Comment se sent le personnage ? Est-ce que son état d’âme est le même qu’au segment précédent ? Où en est-il par rapport à sa réflexion sur les apparences ? Pistes de questions pour guider les élèves
       
Segment 2 (p. 39 à 104) « Décapant ! Transcendant ! Aucun de ces mots n’avait vraiment de sens, mais la force avec laquelle ils étaient proférés les rendait éclatants. Ils rompaient avec le froid de l’indifférence qui m’avait glacé jusqu’aux os toute ma vie, je me dorais aux rayons de la reconnaissance, je naissais enfin » (p. 81) « Les salauds ! Ils m’ont volé ma vie. Ils m’ont volé ma mort. Ils m’ont même volé mon image. » (p.50) « Décapant ! Transcendant ! Aucun de ces mots n’avait vraiment de sens, mais la force avec laquelle ils étaient proférés les rendait éclatants. Ils rompaient avec le froid de l’indifférence qui m’avait glacé jusqu’aux os toute ma vie, je me dorais aux rayons de la reconnaissance, je naissais enfin » (p. 81).  La confirmation de la décision de Tazio s’effectua à ses funérailles alors que sa colère contre sa famille fut énorme. Son opération effectuée, il se rend compte que sa nouvelle vie est plus que satisfaisante. Il est passé de l’indifférence à la reconnaissance. Est-ce que Tazio est heureux après sa transformation ? Est-ce qu’il est possible de remarquer un changement dans sa personnalité ?Pourquoi est-il en colère contre sa famille ?  
Segment 3 (p. 104-246) « Dès que Zeus-Peter Lama se tenait auprès de moi, je jouissais de me voir reproduit ainsi à l’infini, célèbre. Sitôt qu’il me laissait seul, les doutes fissuraient ma joie : n’étais-je devenu un monstre? Que me restait-il d’humain ? Si je n’étais pas moi-même Adam bis, si j’étais resté celui d’avant, ne ressentirais-je pas de l’horreur devant ces clichés ? Pis même, de la pitié ? » (p. 104).« Mélinda ne venait plus, mais m’envoyait des amies à elle. Je ne les appréciais que la première fois, lorsque je pouvais prendre leur curiosité pour de l’intérêt ; dès la deuxième, cela devenait un pensum fétichiste et je m’ennuyais avec détresse. » (p.105) Tazio commence à se rendre compte que la vie qu’il a ne lui suffit plus. Il commence à sombrer dans l’alcool pour l’empêcher de penser à ce qu’il est devenu. En ne réfléchissant pas, il reste dans un état de passivité. Il veut retrouver son humanité puisqu’il a rencontré des personnes (Carlos et Fiona) qui l’apprécient réellement pour ce qu’il est et non pour son apparence. Tazio est-il toujours heureux d’être une œuvre d’art ? Pourquoi commence-t-il à boire de l’alcool ? Est-il toujours certain de vouloir rester une œuvre d’art ? D’aimer sa nouvelle condition de vie ?
Segment 4 (p. 247-253) « J’étais à ma place, sur un point de l’univers, je servais à quelque chose et ma vie me semblait justifiée. » (p.249) « Ma troisième naissance eut lieu sur la place, devant le chevalet d’Hannibal, lorsque je découvris que l’univers était beau, plein, riche, si j’acceptais, moi, d’être médiocre, vide, pauvre » (p. 252). Tazio s’est finalement accepté en tant qu’homme, en tant qu’humain, avec ses qualités et ses défauts. Il est épanoui avec sa femme et ses enfants. Il considère qu’il a une valeur en tant que personne. Son amour pour sa famille est maintenant sa raison de vivre. Tazio est-il heureux ? Pourquoi ? Qu’a-t-il appris de son expérience auprès de Zeus ? Sa perception des apparences a-t-elle changé ?

 

Finalement, à la fin du roman, il est important de revenir sur l’évolution psychologique de Tazio pour que les élèves constatent que le personnage principal a grandement évolué. Pour y arriver, l’enseignant complète avec les apprenants une ligne du temps qui est présentée dans le journal de lecture.


Activité 5 : saisir la quête d’équilibre de Tazio (environ 35 min après chaque segment de lecture)

La quatrième activité amènera les élèves à cerner l’intrigue, soit la quête d’équilibre marquée par l’évolution psychologique de Tazio. Plus précisément, c’est la stratégie suivante qui sera travaillée : dans le récit lu, j’ai cerné l’intrigue (lien entre la quête du personnage et ses relations avec d’autres personnages : Falardeau, 2015). Après la lecture de chaque segment, les apprenants complètent un schéma actanciel présent dans leur journal de lecture pour les aider à mieux comprendre le roman et à organiser leur pensée. Étant donné que la quête d’équilibre de Tazio se modifie au cours des sections, les adjuvants et les opposants changent également. Ce schéma devient donc un outil très pertinent à utiliser puisqu’il permet aux élèves de comprendre que chaque personnage comporte un « ensemble des actes qu’il pose et qui ont des incidences sur les évènements et sur les autres personnages » (Rivard, 1992 dans Falardeau, 2015). Afin de guider les apprenants, l’enseignant fait un bref rappel des différentes composantes du schéma actanciel. Après la lecture de la première section, il complète ce dernier avec les élèves afin qu’ils comprennent bien le travail demandé et qu’ils aient tous les mêmes informations de départ. Pour stimuler la réflexion des jeunes, l’enseignant leur pose des questions : qui est le personnage principal ? Que cherche-t-il (sa quête) ? Quels sont les personnages secondaires ? Quelles sont les relations que le personnage principal entretient avec les personnages secondaires ? Quels sont les personnages aidants et nuisibles (adjuvants/opposants) ? En quoi cela affecte-t-il la quête du personnage principal ? Après la lecture des autres segments, l’enseignant invite les élèves à compléter individuellement le schéma actanciel, puis à discuter des modifications apportées en équipe. Il est important de favoriser ce mode d’activité puisqu’il demande à l’apprenant d’être en mesure « d’expliciter sa pensée aux autres, de faire un effort pour comprendre le point de vue des coéquipiers, de synthétiser les informations, d’analyser les propositions, d’arriver à un consensus [...] » (Université du Québec à Trois-Rivières, s.d.). Toujours pour guider les apprenants, l’enseignant peut proposer les questions ci-dessus et en ajouter de nouvelles : le schéma a-t-il changé depuis la lecture du segment précédent ? Certains adjuvants deviennent-ils des opposants ? Est-ce que la quête d’équilibre change ? L’important est de demander aux élèves de justifier les modifications, et ce, afin de rendre explicite leur raisonnement menant à l’énoncé de leur propos (Dumais et al., 2015). 


Activité 6 : cerner différents points de vue (75 min après la lecture du troisième segment)

La cinquième activité proposée permet de répondre au problème de lecture suivant : à la suite de sa transformation, Tazio est-il considéré comme un homme ou comme un objet ? Pourquoi ? La réponse n’est pas simple puisqu’elle varie d’un personnage à l’autre. C’est pourquoi nous pensons qu’il est essentiel de la travailler avec les élèves. Pour y arriver, nous suggérons aux enseignants d’articuler une lecture de différents extraits à un travail sur la langue. En effet, nous proposons de comparer divers passages tirés du roman où Tazio est considéré comme un objet et comme un humain et, plus particulièrement, d’analyser la modalisation (mots qui révèlent la subjectivité) présente dans ces passages. Après la lecture du troisième segment, l’enseignant amorce l’activité en posant le problème de lecture aux élèves. Puis, il peut suivre la démarche suivante :

1-À partir du schéma actanciel (adjuvants et opposants), demander aux élèves de ressortir les personnages qui ont une opinion différente à propos de Tazio individuellement.

2-Demander aux élèves de ressortir individuellement des passages qui prouvent leurs représentations. L’enseignant peut en donner un en exemple aux élèves pour les guider. Les apprenants peuvent ensuite se placer en équipe pour comparer leurs extraits.

 

Exemples à donner aux élèves : 

 

Personnages Extraits Comment Tazio est-il considéré ? Comment le sais-tu ?
Zeus (p.84) Plus rien ne t’appartient. Tu as signé un papier, oublies-tu ?–Pas pour ça. C’est encore à moi.–Pas moins que le reste. Un objet. On parle de l’aspect contractuel qui prouve qu’il est un objet.
Zeus (p.153) — Pas de comparaisons idiotes, s’il te plait. Il n’y a aucun rapport entre toi et moi. Tu es l’œuvre, je suis l’artiste.–Mais je suis un homme !–Oh, si peu…–Je suis un homme. J’ai une conscience.–À quoi te sert-elle ? À te rendre malheureux. Tu ferais mieux de ne plus l’écouter.–Désolé, ma conscience, c’est moi ! Moi ! Pas quelque chose de distinct de moi !–Bien sûr. Pourtant tu sais très bien que ton moi n’a aucun intérêt. Aucune valeur. Pas plus que ton corps naturel. Lorsque je t’ai connu, tu voulais d’ailleurs supprimer les deux. Grâce à mon intervention, ton corps a désormais de l’intérêt. Un objet. On dit que Tazio est une œuvre. Qu’il n’est presque pas un homme. Depuis son changement, il a de la valeur, seulement en tant qu’objet.

 

3-Demander aux élèves de ressortir les mots présents dans les extraits qui révèlent le point de vue des différents personnages (marques de modalité : MELS, 2011, p. 68).   

 

En analysant la modalisation présente dans le récit et le point de vue, les élèves pourront plus facilement réfléchir sur le problème de lecture soulevé et, ainsi, comprendre que Tazio n’est pas considéré de la même façon aux yeux de tous. Pour guider les enseignants dans la démarche, voici quelques pistes d'analyses proposées : 

 

Personnages

Extraits

Comment Tazio est-il considéré ? Comment le sais-tu ?

 

 

 

Fiona (p.194)

Tu ne peux même pas. Tu n’en as pas juridiquement le droit. Tu n’es plus personne, Adam. À part pour moi et mon père, tu n’es plus personne.

Elle et son père le considèrent comme un homme, mais disent que les autres le considèrent comme un objet. Juridiquement elle lui dit qu’il n’est plus un homme, malgré ce qu’elle pense.

Conservateur (p.203)

— Je ne me lèverai plus. À partir d’aujourd’hui, je fais la grève.–Vous n’en avez pas le droit.–Tout le monde a le droit de faire la grève. Même vous.–Les objets n’ont pas le droit de grève.–Je ne suis pas un objet.–Les œuvres d’art n’ont pas le droit de grève, si vous préférez.

Un objet. On lui dit qu’il n’a pas le droit de faire la grève parce qu’il est une œuvre d’art, donc un objet.

Hannibal (p.230)

— Il a été victime de notre époque. Ou plutôt du discours que notre époque tient sur elle-même. On nous dit que l’apparence est importante, on nous propose d’acheter des biens et des services qui changent ou améliorent notre apparence — vêtements, régimes, coiffures, accessoires, voitures [...]. Je suppose qu’Adam, comme tant d’autres, est tombé dans ce piège. Il a dû être très malheureux lorsqu’il s’est cherché là où il ne pouvait pas se trouver : dans les apparences. Puis il a dû être très heureux quand cet escroc lui a proposé une nouvelle et frappante apparence. Enfin, il a dû se rendre compte qu’il s’était engagé dans une impasse.

Un homme. On dit qu’il est une victime de son époque. Qu’il s’est perdu dans sa recherche de lui-même, dans les apparences.

 

De plus, il serait très intéressant de faire un lien avec le problème de lecture précédent : en quoi l’analyse de l’évolution psychologique de Tazio nous permet-elle de comprendre comment il se considère ? Sa propre vision de son statut évolue-t-elle au cours du roman ? Pour répondre à ces deux questions, nous suggérons aux enseignants d’attendre que les élèves aient terminé leur lecture complète du roman. Puis, une fois la ligne du temps complétée (activité 4), cette dernière pourra être reprise pour soutenir la réflexion.


APRÈS LA LECTURE

Activité 7 : retour sur les standards de beauté (75 min.)

Après la lecture, une première activité consiste en un retour sur l’ensemble des activités de compréhension et d’analyse. L’objectif est de faire ressortir la compréhension de l’œuvre (MELS, 2004). Les élèves sont amenés à revenir sur les questions proposées au début de la séquence : quelle importance accordes-tu à la beauté ? Comment cela influence-t-il ta vie ? Ils doivent y répondre en s’appuyant sur des passages du texte pour alimenter leur réflexion et en expliquant ce qui a changé ou non au cours des différentes activités. En demandant aux élèves d’appuyer leur réflexion par des extraits, l’enseignant s’assure que « [leur] adhésion ou [leur] répulsion spontanées devront être remises en question, décortiquées, expliquées [...] Ces éléments de subjectivité qui ont d’abord constitué des points d’ancrage dans le texte deviennent des leviers pour l’apprentissage de la distanciation, soit la mise à distance de ses propres références par l’analyse de l’univers représenté » (Falardeau, 2004, p. 40). Pour guider les apprenants dans leur écriture, l’enseignant peut leur proposer certaines pistes de réflexion : quels sont les passages du livre qui vous ont déplu ou même dégouté ? Pourquoi ? Quel extrait à propos de la beauté t’a particulièrement marqué ? Ce petit exercice d’écriture se fait individuellement puisqu’il permet aux élèves d’organiser et de structurer leur pensée en vue de la discussion. Autrement dit, l’écriture est ici au service de la discussion : l’élève écrit pour mieux discuter (Hébert, 2008). 

Après l’activité d’écriture, l’enseignant anime une discussion philosophique en plénière dans laquelle les élèves pourront donner leur point de vue sur la question proposée ci-dessus. Puisque les élèves l’auront préalablement travaillée dans leur journal de lecture, il sera plus facile pour eux d’appuyer leurs interprétations sur des extraits de l’œuvre. Pour orienter la discussion, nous proposons plusieurs questions à soulever : comment la lecture du roman a-t-elle influencé votre vision de l’importance de la beauté ? Y a-t-il des passages qui vous ont redonné foi en l’humain ? Pensez-vous qu’un artiste pourrait agir comme Zeus dans notre société ? Comment auriez-vous réagi si vous aviez été un proche de Tazio en apprenant qu’il avait fait don de son corps à Zeus ? Bref, cette sixième activité sera l’occasion de travailler la compétence transversale Exercer son jugement critique puisque « l’élève apprendra à dépasser les préjugés et les évidences intuitives afin d’éviter que la simple expression d’une opinion tienne lieu de jugement » (MELS, 2009, p. 9).


Activité 8 : pasticher l’œuvre de Schmitt (75 min.)

La dernière activité de la séquence est une écriture créative. Après avoir fait un retour en plénière sur l’évolution psychologique de Tazio et sur sa quête d’équilibre, les élèves sont amenés à pasticher l’œuvre de Schmitt. Cette activité sert à évaluer les apprenants de manière formative en écriture et sommative en lecture[3]. Étant donné que l’écriture a été très peu abordée dans le cadre de cette séquence, nous jugeons qu’il est plus adéquat de l’évaluer de manière formative. Pour sa part, la lecture pourra être évaluée de manière sommative puisque les élèves devront, à travers leur écriture, rendre compte de leur compréhension de l’évolution du personnage principal et de sa quête d’équilibre, deux éléments travaillés dans la présente séquence. Ils devront également réinvestir le travail sur la modalisation pour répondre à la consigne d’écriture présentée dans le journal de lecture :

Après avoir lu et analysé Lorsque j’étais une œuvre d’art d’Éric Emmanuel Schmitt, tu dois maintenant mettre à profit tes connaissances acquises lors des différentes activités. Lorsque Tazio gagne son procès, nous n’avons pas accès à ses sentiments. Tu dois donc compléter l’extrait suivant en rédigeant un texte d’environ 250 mots qui nous permettra de saisir dans quel état d’esprit se trouve le personnage principal lorsqu’il gagne sa cause. Pour que ton pastiche s’insère bien dans le roman, tu dois tenir compte de l’évolution psychologique de Tazio et de sa quête d’équilibre personnelle. De plus, les sentiments de Tazio doivent être révélés par la modalisation des énoncés. Ton texte sera destiné à des élèves du même âge que toi. Voici l’extrait que tu dois compléter (p. 246) :


— Je suis donc libre ?

–Évidemment, puisque tu ne vaux plus rien.

     [À ce moment, je…]


Après l’exercice d’écriture, l’enseignant fait un dernier retour en plénière et questionne les élèves sur le travail effectué : était-il difficile de pasticher Schmitt ? Pourquoi ? Que crois-tu avoir le mieux réussi ? Pourquoi ? Lorsque la correction des textes sera terminée, nous suggérons également à l’enseignant de faire la lecture de quelques pastiches en classe afin de montrer aux élèves les différentes créations littéraires. 

 

Somme toute, notre séquence didactique portant sur Lorsque j’étais une œuvre d’art de Schmitt permet aux élèves de porter une réflexion philosophique sur l’importance accordée aux standards de la beauté. En analysant l’évolution psychologique de Tazio et sa quête identitaire, les apprenants sont amenés à constater son rejet progressif des apparences vers l’acceptation de soi. Par ailleurs, le travail sur la langue centré sur des extraits précis leur permet de repérer les termes connotés que Tazio utilise pour qualifier l’univers qui l’entoure. Selon nous, les problèmes de lecture soulevés permettent non seulement aux élèves de mieux comprendre le roman, mais également de réfléchir à leurs propres valeurs en tant qu’individu tout en favorisant la participation et la distanciation (Falardeau, 2004). 

 

Bibliographie

 

Chevalier, Fortier et al. (2006). Têtes d’Affiche : Guide en un coup d’œil B - Dossier 1 à 4. Anjou, Québec : Les Éditions CEC inc.

 

Christian Dumais, Sonya Bouchard, Jean-François Tremblay, Marie-Claude Carle et Brigitte Charest « Savoir justifier pour discuter. » Québec français 174 (2015) : 95–97.

 

Dufays, J. - L. (2008). « Enseigner et apprendre la littérature aujourd’hui, pour quoi faire ? : Sens, utilité, évaluation ». Presses universitaires de Louvain. 478 pages.

 

Falardeau, É. (2004). La place des lecteurs dans les classes de littérature. Québec français, 135 (41), 23 - 26

 

Falardeau, É. (2015). « Fiches d’accompagnement pour l’enseignant : Je comprends un texte narratif ». Stratégies de lecture et d’écriture. Repéré à https://media.wix.com/ugd/2facca_9c16148f836248e6b1f0f2a8db182cb6.pdf.

 

Hébert, M. (2008). « Le journal de lecture comme genre d’écrit ». Québec français. Numéro 149. Pages 65-66. 

 

Leith, É. (2011). « Le journal dialogué et le cercle de lecture : des outils au service d’une lecture interactive ». Québec français. Numéro 160. Pages 50–51.     

                          

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2004). Français langue d’enseignement. Repéré à : http://www1.education.gouv.qc.ca/sections/programmeFormation/secondaire2/medias/5b-pfeq_fle.pdf.

 

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Simard, C, Dufays, J.-L., Dolz, J. et Garcia-Debanc, C. (2010). Didactique du français langue première. Bruxelles : De Boeck.

 



[1] Ces questions seront reprises à la fin de la séquence didactique avec les élèves.

[2] Nous proposons à l’enseignant de montrer aux élèves deux œuvre à la manière de Warhol : celle de Marilyn Monroe et celle des soupes Campbell’s. L’objectif est de faire remarquer aux apprenants que le processus de création mis en place pour l’humain et l’objet est le même, ce qui appuie la thématique de la déshumanisation de l’homme.

[3] Les grilles d’évaluation se retrouvent dans le journal de lecture. 


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